Limogeage d'un gouverneur ayant sa propre milice, arrestation en plein conseil des ministres de deux hauts responsables accusés de corruption : le président ukrainien Petro Porochenko a fait mercredi étalage de son autorité pour faire taire ceux qui l'accusent de ne rien contrôler.
A la peine dans le conflit armé avec les séparatistes prorusses de l'est, en difficulté pour enrayer la crise économique qui touche de plein fouet l'Ukraine, Petro Porochenko a frappé coup sur coup dans deux dossiers différents.
Il a reçu en pleine nuit à la présidence le milliardaire et gouverneur de la région de Dnipropetrovsk, frontalière de la "république" rebelle de Donetsk, Igor Kolomoïski, qui lui a présenté sa démission, aussitôt acceptée selon les services du chef de l'Etat, au terme de plusieurs jours de bras de fer.
Nommé gouverneur en mars 2014 pour mettre fin aux pulsions séparatistes dans cette région industrielle clé, Igor Kolomoïski s'est illustré par la création et le financement de puissants bataillons de volontaires qui combattent aux côtés des troupes ukrainiennes contre les insurgés prorusses.
Cet homme d'affaires de 52 ans a acquis une grande popularité. Bien que toute proche de la région de Donetsk, Dnipropetrovsk a en effet résisté aux appels au séparatisme, notamment sous l'impulsion de M. Kolomoïski qui a littéralement acheté la paix sociale et empêché, aux yeux de beaucoup d'observateurs, la rébellion de s'y propager.
Mais ses intérêts sont entrés en collision la semaine dernière avec ceux du président ukrainien quand les députés ont adopté une loi destinée à modifier l'organisation des conseils d'administration des entreprises publiques afin de réduire le contrôle exercé par les actionnaires minoritaires.
Dans la foulée, des hommes armés et encagoulés, envoyés par Igor Kolomoïski selon la presse ukrainienne, ont investi les locaux de deux sociétés publiques pétrolières, UkrTransNafta et Ukrnafta, où l'oligarque avait des intérêts.
Le chef de l'Etat ukrainien a alors haussé le ton, rappelant au gouverneur Kolomoïski qu'il ne tolérerait pas l'existence de milices privées.
L'irruption d'hommes armés et encagoulés, rappelant les guerres entre oligarques des années 1990, a suscité des interrogations sur la capacité de M. Porochenko à contrôler la situation dans son pays à un moment où des conjectures vont bon train sur la possibilité d'un nouveau "Maïdan", ce mouvement de contestation qui fait chuter des régimes en Ukraine.
- Arrêtés devant les caméras -
Quelques heures après le limogeage d'Igor Kolomoïski, le pouvoir ukrainien a fait, en plein conseil des ministres, une nouvelle démonstration de force en faisant arrêter devant les caméras deux dirigeants du service des Situations d'urgence accusés de corruption.
Le directeur du service d?État pour les Situations d'urgence Serguiï Botchkovski et son adjoint Vassyl Stoïetski, menottés devant les journalistes, sont accusés, a fait savoir la police, d'avoir effectué des achats publics "à des prix beaucoup plus élevés" que le prix du marché, y compris auprès du géant pétrolier russe Loukoïl.
Le gouvernement pro-occidental ukrainien, arrivé au pouvoir après la chute, en février 2014, du régime de l'ex-président prorusse Viktor Ianoukovitch, a placé la lutte contre la corruption en tête de ses priorités. Présent pendant la réunion, le ministre de l'Intérieur ukrainien Arsen Avakov s'est dès lors expliqué sur ces arrestations publiques, fait inédit en Ukraine.
"Je n'enfreins pas le secret de l'enquête, mais je mène une enquête publique", a-t-il dit. "Ce n'est pas un spectacle. () Je pense que c'est un vaccin et il faut que cela soit public", a-t-il ajouté.
Le Premier ministre Arseni Iatseniouk a lui aussi commenté cette démonstration de force, déclarant : "Lorsque le pays est en guerre, tous les kopecks comptent. Or, ils volent les gens et le pays. Cela arrivera à tous ceux qui enfreignent la loi et se moquent de l'Etat ukrainien".
"Le président Porochenko a fait preuve de volonté dans la lutte contre l'anarchie des oligarques", a de son côté commenté Volodymyr Fessenko, analyste politique indépendant, tout en disant espérer qu'il n'y aurait "pas de fronde" après le limogeage du gouverneur de Dnipropetrovsk.
Certains craignent en effet qu'Igor Kolomoïski puisse avoir recours à ses bataillons de volontaires pour prendre sa revanche.
Mais pour Moustafa Naïem, député du Bloc Porochenko, "le limogeage de M. Kolomoïski doit devenir le début d'une croisade contre les oligarques, leur influence sur la politique et leur enrichissement aux dépens de l'Etat".
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