Pierre Bonnard, chroniqueur lumineux du bonheur bourgeois? C'est une image plus complexe que propose le musée d'Orsay dans une rétrospective où affleure, à côté de son génie des couleurs, une certaine mélancolie.
"Nous avons voulu montrer les grands principes de la peinture de Bonnard, c'est-à-dire le décoratif et +faire jaillir l'imprévu+, autrement dit ce que la vie a apporté au peintre", explique Isabelle Cahn, commissaire de l'exposition (jusqu'au 19 juillet), avec le président du musée d'Orsay, Guy Cogeval.
Près de 150 peintures et photographies, venues du monde entier (Minneapolis, Essen, Venise, Göteborg), sont réunies pour cette exposition intitulée "Peindre l'Arcadie".
Séducteur
Bonnard (1867-1947) ne fut pas seulement ce vieux monsieur très sérieux, immortalisé par le photographe Henri Cartier-Bresson. Beau, élégant, séducteur, voire jouisseur, il partagea sa vie avec Marthe de Méligny, qui est également son modèle favori, mais eut pendant près de dix ans une relation amoureuse avec Renée Monchaty. Celle-ci se suicida quelques semaines après le mariage de Bonnard avec Marthe en 1925.
Audacieux pour l'époque, il se peint nu dans le tableau "l'Homme et la Femme", où le couple est séparé par un paravent, et collabore avec Alfred Jarry sur sa pièce "Ubu Roi".
Miroirs
Les miroirs sont partout dans l'oeuvre de Bonnard et le peintre en joue. Dans "La Cheminée", le torse nu d'une jeune femme se reflète dans un miroir qui renvoie l'image d'un autre miroir et d'une toile de Maurice Denis, un nu couché aujourd'hui perdu.
Autre dispositif dans "Table de toilette et miroir" où ce dernier laisse entrevoir, derrière le reflet des objets, un être - homme ou femme? - dont la tête est coupée par le cadre. Dans "Le café +Au Petit Poucet+, Place Clichy", Bonnard pousse le jeu si loin qu'on a du mal à reconstituer la perspective.
Mémoire
"Bonnard ne travaille jamais sur le motif, mais de mémoire" à partir de croquis préparatoires, bien qu'il ne soit pas considéré comme un grand dessinateur, relève Isabelle Cahn.
Jamais complétement satisfait, il n'hésite pas, plusieurs années après, à faire des repeints sur certaines de ses oeuvres. C'est le cas de "Jeunes femmes au jardin" où figure sa maîtresse Renée Monchaty. Peinte en 1921-23, la toile fut reprise et terminée en 1945-46.
Arcadie
"Bonnard ne s'intéresse pas à la réalité", dit Isabelle Cahn. Rien des deux conflits mondiaux qu'il a traversés ne transparaît dans sa peinture. "Il ne pouvait pas supporter la souffrance, le collectif".
Son oeuvre est centrée sur sa vie personnelle, sa famille, sa compagne, ses maisons, ce que l'exposition définit comme "une vision arcadienne" du monde en référence à cette terre idéale qui inspira Virgile et Poussin.
Scènes de petit déjeuner ou de goûter sur la terrasse du Cannet (Côte d'Azur) ou le balcon de sa maison normande, tartes aux raisins ou aux cerises, jeunes femmes nues se lavant ou se parfumant dans une pièce envahie par la lumière, la couleur et le décor: tel est l'univers le plus accompli du peintre.
Fantômes
Après le suicide de sa maîtresse en 1925, Bonnard peint une série de toiles où un corps livide et raide est allongé sous une eau transparente, qui se confond presque avec la peau du modèle. Le lien avec la mort de la jeune femme est évident. "On arrive à une dissolution complète de la matière", souligne Isabelle Cahn.
La peinture de Bonnard compte d'autres étrangetés: la silhouette du voyeur dissimulée dans les plis du couvre-lit dans "L'indolente" ou le "spectre" à peine visible sur le mur de "L'atelier au mimosa".
Orsay expose aussi une série d'autoportraits saisissants où Bonnard apparaît vieilli, malade et même en boxeur, visage tuméfié et poings ensanglantés.
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