Des cartons éventrés par terre, des centaines de mètres de rayonnages vides dans un immense entrepôt à la sortie du petit village provençal de Banon: voici ce qui reste des rêves de grandeur d'une librairie qui voulait devenir "la première de France".
Ce projet de Joël Gatefossé, un menuisier de formation qui avait racheté en 1990 une papeterie-bazar de 50 m2 dans ce coin un brin perdu des Alpes-de-Haute-Provence, avait pourtant séduit banques et collectivités locales.
Quelque 4,4 M EUR avaient ainsi été investis en 2012 dans cet outil ultra-moderne par le maire de la commune Philippe Wagner, Joël Gatefossé a reconnu selon l'élu avoir été "mal conseillé", une "mauvaise communication" et un "site internet pas assez marchand".
Las L'affaire n'a jamais décollé. Injoignable et "très affecté", selon le maire de la commune Philippe Wagner, Joël Gatefossé a reconnu selon l'élu avoir été "mal conseillé", une "mauvaise communication" et un "site internet pas assez marchand".
Il s'agissait ni plus ni moins de marcher sur les plate-bandes du géant Amazon, en tentant de reproduire, via la vente en ligne, l'incroyable succès de la maison-mère, "Le Bleuet", la librairie traditionnelle implantée au c?ur de cette commune d'un millier d'habitants et en faire "la première de France" en 2014.
- Ambition déraisonnée -
Une ambition déraisonnée: "Stocker des centaines de milliers d'ouvrages, dont beaucoup ne se vendent qu'à une quarantaine d'exemplaires annuels, c'est un peu suicidaire, vu les investissements colossaux", explique Guillaume Husson délégué général du Syndicat de la librairie française. D'autant que, pour les librairies, la vente en ligne n'est qu'une "activité connexe, n'excédant pas 7% du chiffre d'affaires".
La librairie "physique" a échappé à la liquidation, qui menaçait après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde en novembre 2014. Pour environ 150.000 euros, selon le maire, ses nouveaux propriétaires, un professeur de lettres et de musicologie à Avignon et son mari industriel, n'ont en revanche pas repris l'entrepôt.
Leur objectif: "garder l'esprit du Bleuet, en le modernisant", explique Christine Rey, la nouvelle patronne des lieux, jusqu'alors cliente régulière, venant "trois-quatre fois par an pour aimer se perdre dans cet endroit magique".
En 20 ans, ce modeste local s'est en effet transformé en un temple de la littérature, où l'intégrale de La Pléiade attend le visiteur à peine la porte franchie. Sur 8 niveaux et 800 m2, de mezzanine en recoins, règne une atmosphère de "recueillement", tout en chuchotis, comme l'a dit un jour Joël Gatefossé, qui a confectionné lui-même les rayonnages. L'offre immense - 170.000 ouvrages - incitait il est vrai au lâcher prise
- "poumon économique du village" -
On venait de 100 km à la ronde pour se procurer des raretés et s'offrir ce plaisir-là. Et en été, la clientèle touristique "intello" pouvait faire grimper les ventes quotidiennes à 2.000 exemplaires. Avant l'énorme investissement qui a plombé la trésorerie, le chiffre d'affaires atteignait 2,2 M EUR, pour 17 salariés.
"Le Bleuet est devenu le poumon économique du village, plus emblématique que notre fromage de chèvre (célèbre spécialité locale, ndlr). Ce qu'il draine en terme de visiteurs est considérable, pour nos petits commerces Une liquidation aurait été une catastrophe. Pour nous, c'était une priorité de maintenir l'activité", poursuit le maire de Banon, qui a mis à disposition une salle communale pour rapatrier une partie du stock de l'entrepôt.
Epurer et reconstituer le stock, c'est bien là le premier défi de la nouvelle équipe. Car l'exhaustivité avait ses limites. Comment par exemple écluser un millier d' exemplaires de "La Provence vue du ciel"? "Il manquait beaucoup de choses dans les classiques, et dans les nouveautés", relève Mme Rey. En raison des problèmes de trésorerie, les éditeurs rechignaient à fournir en nouveautés. Mais depuis début mars "nous sommes de nouveau approvisionnés", assure-t-elle. Des évènements sont aussi programmés pour ouvrir le lieu: expos, signatures, et concerts, par exemple dans le ravissant petit jardin attenant.
"Le Bleuet" semble ainsi sauvé. Reste l'encombrant héritage de cet entrepôt abandonné. "Peut-être pourrait-il être reconverti en lieu de stockage pour les archives de grandes entreprises, envisage le maire de Banon.
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