Des amendes ont été requises vendredi en correctionnelle, notamment contre Bouygues TP qui, selon le parquet, a joué un "rôle central" dans une affaire de travail dissimulé de centaines d'étrangers sur le gigantesque chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville.
"Le recours à (l'agence d'intérim international) Atlanco n'a qu'un seul objectif, violer les règles de cotisations sociales" et trouver "une main-d'oeuvre la plus malléable possible", a tonné le procureur de la République de Cherbourg Eric Bouillard, avant de requérir 150.000 euros d'amende contre Bouygues TP dont il a dénoncé le "rôle central" selon lui.
Bouygues TP, Quille, deux filiales de Bouygues Construction, et l'entreprise française Welbond armatures, sont poursuivies notamment pour recours aux services d'entreprises pratiquant le travail dissimulé: Atlanco et la société roumaine de BTP Elco.
La peine maximale a été requise contre la "nébuleuse" Atlanco, 225.000 euros d'amende, ainsi que l'interdiction d'exercer en France. Le parquet a requis 80.000 euros d'amende contre chacune des autres sociétés.
Ces amendes sont "bien inférieures aux bénéfices réalisés", a souligné M. Bouillard, soit plusieurs millions d'euros de cotisations non payées.
De 460 salariés - 163 Polonais, 297 Roumains - à plus de 500 sont concernés selon le parquet.
"J'étais dans le brouillard () Vous n'imaginez pas le nombre de problèmes techniques que nous avons eu à résoudre sur ce chantier", s'est défendu à la barre le directeur de projet de l'époque de Bouygues TP, Michel Bonnet, à qui le tribunal demandait pourquoi il n'avait pas rompu avant juin 2011 avec Atlanco, malgré de premières alertes en 2009. Des propos "atterrants" selon le procureur.
Maître-d??uvre de ce chantier qui cumule retards et déboires, EDF a en juin 2011 demandé à Bouygues de mettre fin à la situation irrégulière de dizaines de Polonais après une verbalisation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans les jours suivants, les Polonais ont été ramenés "manu militari" dans leur pays, selon l'ASN, dans "des bus de la honte" selon l'avocat de la CGT Flavien Jorquera.
EDF a autorisé les accès au chantier d'ouvriers qui n'étaient pas en règle mais n'est pas poursuivie.
- bras de fer -
"Derrière l'absence de (déclarations des salariés en France) il y a des hommes. Les conséquences (sur la santé, la retraite), pour eux et leurs familles sont terribles", a plaidé vendredi Wladislaw Lis, avocat d'une cinquantaine de Polonais.
Face aux témoignages d'ouvriers roumains, lus par le tribunal, sur des paiements en liquide, des congés non payés, des frais non remboursés, un responsable d'Elco a répondu qu'il avait été induit en "erreur" par un cabinet d'experts comptables.
L'ombre du principal prévenu, Atlanco Limited, a plané durant les quatre longs jours d'audience. La justice n'a pas réussi à retrouver cette société "un peu fantôme" selon le tribunal dont le siège serait à Dublin ou à Chypre.
Le procès a donné lieu à un long bras de fer entre l'inspecteur de l'ASN, appelé à la barre, et les six avocats de Bouygues.
"Si vous faites les questions et les réponses, je n'ai plus qu'à retourner m'asseoir", a lancé jeudi Jean Fresneda, sept ans d'expérience à l'ASN dont quatre comme inspecteur du travail, aux ténors du barreau parisien, les appelant au "factuel".
Selon le fonctionnaire, des problèmes similaires ont eu lieu sur le chantier de l'EPR de Finlande, qui a démarré avant Flamanville, avec "une agence de placement irlandaise inscrite à Chypre qui y employait 400 travailleurs polonais". Bouygues TP et Atlanco y ont aussi travaillé. Quatre EPR sont en construction dans le monde, dont deux en Chine.
Ce procès est celui du "décalage entre le niveau de cotisations sociales patronales en France (51,7%) et leur niveau" dans d'autres pays européen (12,1% à Chypre), selon M. Houx, malgré les dénégations de Bouygues TP.
A l'époque des faits (2008-2012), le chantier employait environ 3.000 personnes, dont environ un tiers d'étrangers selon l'ASN. Les avocats de Bouygues vont plaider la relaxe.
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