Outil de connaissance indispensable pour les uns, classification dangereuse pour les autres, la question des statistiques ethniques a pris une nouvelle résonance dans la lutte contre l'"apartheid" des banlieues.
Manuel Valls a relancé le débat vendredi dernier en se disant "prêt à avancer" sur une "réflexion" à ce propos, qui resterait "dans un cadre constitutionnel".
Dans le sillage des attentats de janvier, le Premier ministre avait déjà suscité un vif débat en parlant d'"apartheid territorial, social et ethnique" plombant les quartiers sensibles, théâtre de discriminations "parce que l'on n'a pas le bon nom de famille" ou "la bonne couleur de peau". Mais comment mesurer la réalité de cette inégalité?
La France, à l'inverse des pays anglo-saxons, refuse les politiques ciblées, les quotas ou les statistiques ethniques pour traiter tous les citoyens à égalité.
La loi interdit la collecte et le traitement de données dites "sensibles", notamment celles relatives à l'origine ou à l'appartenance ethno-raciale. Le Conseil constitutionnel avait prohibé les statistiques à base ethnique en 2007.
Mais, contrairement à une idée répandue, il est possible d'obtenir au cas par cas des dérogations de la Cnil (Commission informatique et libertés) pour demander, par exemple, le lieu de naissance des parents, à condition que la question soit pertinente avec le but de la collecte.
La vaste enquête Trajectoires et origines (Teo), menée en 2008 auprès de 22.000 personnes par l'Ined et l'Insee, a ainsi pu donner une mesure de l'intégration en France.
Les statistiques, arguent leurs partisans, sont indispensables pour mesurer l'ampleur des inégalités, voire fixer des objectifs pour les réduire.
"Sans des statistiques précises sur la question des sexes, jamais nous n'aurions pu avancer dans cette lutte, qui est loin d'être terminée, pour l'égalité entre les femmes et les hommes", a fait valoir Manuel Valls.
Le député UMP Benoist Apparu, proche d'Alain Juppé, avait lui aussi estimé fin janvier que le débat sur une éventuelle instauration de statistiques ethniques en France "mérite d'être ouvert".
Compléter les enquêtes du recensement par des questions sur le pays de naissance des parents pourrait être une piste intéressante, estime ainsi le commissariat général à la stratégie et à la prospective (France Stratégies), dans une note publiée cette semaine.
- Une 'boîte de Pandore' ? -
Mais l'opposition reste vive, notamment parmi les associations, et jusqu'au sommet de l?État.
Début février, François Hollande avait jugé que le débat "n'apporterait rien". "Nous pouvons regarder ce qui se passe par rapport à des lieux de vie, pas besoin de faire de statistiques ethniques. Regardez ou vivent un certain nombre de nos compatriotes et vous verrez les problèmes de chômage, de scolarité, de réussite, voire même la capacité à créer une entreprise", avait-il ajouté.
De fait, les chercheurs savent croiser les données (lieu de naissance des parents, patronymes) pour mener des études assez précises.
Les détracteurs s'inquiètent entre autres de voir importer un concept très anglo-saxon. Pas question, disent-ils, de figer les Français dans des cases "Caucasien", "Noir" ou "Asiatique", comme c'est le cas aux États-Unis, ce qui importerait un concept d'ethnie difficilement compatible avec le modèle républicain français.
Autre critique récurrente, le risque auto-réalisateur du classement en catégories ethniques (elles prendraient corps du fait même d'avoir été énoncées), contraire au but recherché de lutte contre les inégalités.
"Si les statistiques deviennent une base de gestion de la population, cela peut être extrêmement dangereux, car on en viendrait à ne plus traiter les gens qu'au travers de leur ethnicité réelle ou supposée", met en garde Dominique Sopo, le président de SOS Racisme.
Enfin certains, gardant à l'esprit le fichage de l'époque de Vichy, s'inquiètent d'une dérive dans l'exploitation des données.
"Cette notion nous renvoie à des périodes de notre Histoire qui n'ont pas été les plus glorieuses", affirme Alain Jakubowicz, le président de la Licra. Se doter de statistiques serait selon lui "ouvrir la boîte de Pandore", car très vite "cela deviendrait non pas des statistiques ethniques, mais religieuses".
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