"Mes enfants font le carême comme en Irak, 50 jours, sauf le dimanche": Ouissam Khalaf, chrétien d'Orient originaire de Mossoul, chassé par le groupe Etat islamique, et réfugié en France, a tout perdu. Sauf la foi.
Comme lui, des dizaines de familles chrétiennes, irakiennes, syriennes, plus rarement arméniennes ou iraniennes, vivant en Ile-de-France, se rendent chaque dimanche à l'église Notre-Dame de Chaldée, dans le quartier de la Chapelle, à Paris.
Dans les vapeurs d'encens, cette messe parisienne, dite en arabe et en araméen, la langue parlée par Jésus, soude tout un petit peuple de chrétiens d'Orient, dont beaucoup ont fui les exactions commises par Daech (l'organisation Etat islamique).
Certains sont arrivés il y a six ans fuyant les premières persécutions anti-chrétiennes à Bagdad, d'autres ont débarqué en août dernier, venus de Mossoul ou de sa région, vidée de ses chrétiens en quelques semaines à peine. Ceux-là ne parlent pas encore bien le français.
Les fidèles sont de confession chaldéenne, assyrienne, ou syriaque catholique. Deux Egyptiens coptes sont aussi venus discuter et sont repartis avant le début de l'office. Des cousins.
A l'entrée, certaines femmes jettent un voile sur leur tête, ou une mantille de fine dentelle, blanche ou noire. Les enfants sont en habit du dimanche. Une petite fille arbore des couettes nouées de velours rouge et or, la même couleur que la soutane du prêtre, venu de Sarcelles en banlieue.
L'office est oecuménique catholique, mêlant des rites orientaux, comme l'utilisation de deux autels --à l'ouest pour les lectures, à l'est vers Jérusalem pour le reste de la cérémonie-- et des rites catholiques, comme l'entrée et la sortie des prêtres en procession.
On chante en araméen et en arabe. On prie surtout en arabe, "comme ça tout le monde comprend", explique Elish Yako, secrétaire général de l'Association d'entraide aux minorités d'orient (Aemo), qui aide ces déracinés à entreprendre une nouvelle vie.
"Ici, c'est la maison de Dieu, j'ai laissé la mienne à Mossoul, alors je viens prier ici pour demander à Dieu de nous aider" explique M. Khalaf, venu avec sa femme et sa fille cadette, Maryam, jolie rouquine, dont le regard trahit aussi bien l'espièglerie de ses 13 ans qu'une douceur résignée, héritée de ses mois d'errance.
- la conversion, l'impôt ou la valise -
Son père se souvient comme si c'était hier du 9 juin 2014, à minuit. "La moitié de Mossoul était tombée (devant les assauts des jihadistes) le 8 juin, l'autre rive le 9, et on a vu l'armée irakienne se retirer" raconte ce professeur d'ingénierie et travaux publics de l'université de Mossoul.
"On a reçu un appel téléphonique, on a peine eu le temps de rassembler quelques papiers et on est parti". En voiture, avec sa femme et ses trois enfants. Direction Dihouq, au Kurdistan, tout proche. "D'habitude, il fallait une heure pour y aller", dit-il. Ce jour-là, il leur en a fallu douze. "C'était un exode massif". Les 15.000 Chrétiens de la ville partaient en même temps.
Au bout de quelques jours, ils sont revenus à Mossoul, "car dans un premier temps, les gens de Daech avaient dit qu'ils n'avaient rien contre les chrétiens". Mais, le 17 juillet, "on nous a dit que nous devions soit nous convertir à l'islam, soit payer un impôt religieux, soit partir", dit-il.
Quand on lui demande pourquoi il n'a pas envisagé de se convertir, le visage de M. Khalaf s'illumine d'un immense sourire. "Aucun chrétien de Mossoul n'a accepté de se convertir" affirme-t-il, "même si nos amis musulmans nous disaient de le faire pour pouvoir garder notre maison, et rester chez nous".
Après Dihouq, la famille est partie à Erbil, toujours au Kurdistan, où elle a pu bénéficier d'un visa délivré par la France aux chrétiens d'Irak (visa D) donnant droit à l'asile politique.
"Notre maison de Mossoul est maintenant habitée par une famille placée par Daech" dit-il, en se désolant de "la démolition du passé culturel et civilisationnel" à l'oeuvre dans son pays, lorsque des oeuvres archéologiques inestimables ont été détruites par des jihadistes.
Maintenant, il faut recommencer une nouvelle vie. Pas facile d'apprendre le français à 59 ans. "Mais, on est soutenu par tout le monde" sourit M. Khalaf, plein d'espoir. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, son seul souci, dit-il, est de voir arriver en France ce qui lui est arrivé à Mossoul.
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