Rouen et le graff, c'est une histoire d'amour contrariée. Ce mouvement - à ne pas assimiler au tag, simple signature à la bombe - a explosé dans les années 1990, en même temps que le mouvement hip-hop en France. À Rouen, il naît autour d'une poignée d'irréductibles qui, la nuit venue, prennent leur bombe et vont marquer de leur empreinte les murs de la ville.
25 ans plus tard, si les élus et les autorités restent méfiants, le graff a conquis ses lettres de noblesse. Ecloz, ancien graffeur devenu artiste à part entière, résume la situation actuelle : "Avant, on passait trois jours à découper des buissons pour libérer des espaces sur des murs, aujourd'hui le graff rentre dans les musées." Ce mouvement, Ecloz l'a aussi épousé, en réalisant notamment une fresque pour la Matmut. Alors, le graff rouennais est-il mort de son institutionnalisation ?
Des élus frileux
Franck Bernier gère le magasin Wanted Shop, situé place de la Pucelle et spécialisé dans le graff et le mouvement underground. À 37 ans, celui qui a passé 20 ans dans le milieu du graff garde lui aussi un goût amer de toute cette histoire : "La Ville a utilisé le graff quand elle en avait besoin, pour son image. Mais nous avons demandé depuis des années un lieu pour nous exprimer, un Graff Park dans Rouen, cela nous a toujours été refusé." Tout en vivant de sa passion et de la mode actuelle du graff, Franck Bernier regarde donc avec distance un mouvement qui selon lui s'est érodé : "Aujourd'hui, la jeune génération n'a pas vécu l'explosion du mouvement et ne peut la pratiquer comme on l'a fait." Et Ecloz de renchérir : "Rien n'est fait aujourd'hui qui n'ait pas été fait à notre époque. Je vois peu de nouveautés."
Un vent de fraîcheur attendu
Ce vent de fraîcheur attendu, certains ont pourtant contribué à le faire souffler. Mais là encore, la jeune génération est peu partie prenante. Joseph Mendy, dit Method Graphic, 39 ans, artiste vivant entre la banlieue parisienne et Elbeuf, a amené sa touche personnelle dans le street-art haut-normand (qu'il distingue du graff) : "Je fais ce que j'appelle de la décapographie. Je me sers de la suie accumulée sur les murs, sur les traces laissées par la crasse pour en enlever une partie et faire des portraits." Ces "pochoirs soustractifs", Method Graphic ne s'en sert que pour représenter des personnages marquants de l'Histoire, de Jeanne d'Arc à François Mitterrand en passant par Charles de Gaulle (lire par ailleurs).
Et si lui aussi pointe du doigt des "élus restreints et fermés qui s'en fichent complètement, alors que Rouen pourrait devenir la première ville de street-art médiéval", il ne se montre pas fataliste : "Il y a de supers graffeurs à Rouen, qui mériteraient une renommée nationale. Pour l'instant, c'est du talent gâché." Même Ecloz, qui a tourné personnellement la page du graff, anticipe sur l'avenir : "Il suffirait de un ou deux jeunes pour que tout redémarre." Et pour que le graff quitte les projecteurs et retrouve l'ombre de la rue. Là où il est né.
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