Sommes vertigineuses, vieilles rancoeurs, moments de drame mais aussi d'humour: le procès Bettencourt pour "abus de faiblesse", pendant près de cinq semaines au Tribunal correctionnel de Bordeaux, a livré un bouquet d'émotions teintées de démesure, celle de la fortune de la femme la plus riche de France et d'une famille hors normes.
En voici quelques temps marquants:
- DRAME - Coup de théâtre au premier matin du procès, le 26 janvier: le Procureur Gérard Aldigé annonce qu'un des dix prévenus, l'ex-infirmier de Liliane Bettencourt, Alain Thurin, poursuivi pour abus de faiblesse, a tenté de se suicider la veille. Il est depuis dans un coma artificiel. Le Procureur a demandé la "disjonction" de son cas pour un procès ultérieur en fonction de sa santé, mais avait requis la relaxe à l'issue de l'instruction.
- LARMES - Celles de Patrice de Maistre. L'ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, solide sexagénaire qui s'est présenté comme l'irréprochable argentier à la tête froide de la milliardaire, plongé, malgré lui, dans les "déchirures" de la famille. Il craque et sanglote, plusieurs fois à la barre: en évoquant, le premier jour, son parcours, sa femme, ses enfants. "C'est ridicule, excusez-moi". Plus tard, en mentionnant la situation d'Alain Thurin.
- FACE A FACE, A DISTANCE - D'un côté, l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, témoin-clef de l'accusation, qui après avoir fourni un certificat médical, témoignera finalement par visio-conférence depuis Paris. De l'autre, à Bordeaux, Patrice de Maistre et l'ex-ministre UMP Eric Woerth. Tour à tour combative, nerveuse, éruptive, Claire Thibout maintient ses accusations et les prévenus, qu'elle ment. "Mensonge grossier!", lui lancera notamment le notaire Jean-Michel Normand à propos d'un supposé coup de fil entre eux.
- DES CHIFFRES - Le procès a vu valser des montants à donner le tournis. Ceux des largesses (dons, chèques, legs, assurances-vie, etc.) dépassant le milliard, du train de vie des Bettencourt (2,6 millions d'euros de budget vacances annuel) ou les dépenses quotidiennes du couple Banier-D'Orgeval (jusqu'à 30.000 euros, selon un avocat des parties civiles). "La démesure de l'argent", résumera Benoît Chabert, conseil d'un prévenu. La défense n?aura de cesse de ramener ces sommes à des proportions somme toute négligeables pour les critères de la bienfaitrice: "Quand elle donne 10 millions d'euros, ce sont dix jours de ses revenus"
- ? ET DES LETTRES - Avocats, mais aussi prévenus, ont redoublé de références littéraires. L'écrivain-photographe François-Marie Banier, plus que tout autre, invoquant pêle-mêle Marcel Proust, Jean Genet, Octave Mirbeau, Louis-Ferdinand Céline, Honoré de Balzac, François Mauriac Le Procureur Aldigé se référera à Jean de La Fontaine ("Je n'ai pas les mêmes références que Banier"). Les avocats de la défense ne seront pas en reste: Alphonse de Chateaubriand, Stendhal, Pablo Neruda ou encore L'Ecclésiaste de la Bible.
- FAMILLE, ON S'Y HAIT - Le procès, né d'une plainte de Françoise Bettencourt-Meyers, visant à "protéger" sa mère, a levé, à travers maintes lettres et témoignages, un voile sur les relations difficiles au sein de la famille Bettencourt. En premier lieu une relation mère-fille unique douloureuse, depuis longtemps: le mariage de sa fille, voire bien avant "un rapport complexe à la maternité", dira Pierre Haïk, avocat de Patrice de Maistre, et peut-être de la "jalousie", décrira une amie. "Le problème c'est qu'elles ne trouvaient pas les mots, ne savaient pas se parler", résumera Pierre Cornut-Gentille, avocat de François-Marie Banier.
- D'UN MONDE A L'AUTRE - D'un "monde tout à fait à part", "différent du vôtre et du mien", celui des multimilliardaires, comme le dira sans détour Patrice de Maistre au président, Liliane Bettencourt, 92 ans, est aujourd'hui passée dans "un autre monde" (selon son tuteur Olivier Pelat), celui de la maladie d'Alzheimer, "le monde des rêves", dira joliment Jean-Alain Michel, avocat de Martin d'Orgeval.
- LA JUSTICE MOINS FORTUNEE - "La fortune Bettencourt est évaluée à 26 milliards d?euros, c?est quatre fois le budget annuel de la justice", rappellera Me Chabert. Lors d'un problème de son pendant la visio-conférence avec Claire Thibout, le président Denis Roucou lâchera, amer: "les faibles moyens de la justice"
- PRESIDENT POUR TOUS - Posé mais pugnace, Denis Roucou s'agace quand on remet en cause son souci d'impartialité. Après huit ans d'une instruction explosive, fustigée par la défense, il s'attachera à une certaine sérénité des débats. En magistrat rompu aux Assises, où prime l'oralité, il prend le temps de lire, sans se soucier des horaires, lettres et témoignages à charge ou décharge. "Nous avons essayé de faire le maximum, de laisser à chacun la possibilité de s'exprimer", résumera-t-il. "La justice n?a pas toujours été exemplaire. Cette audience l?a été à bien des égards", lui rendra grâce Me Cornut-Gentille au dernier jour.
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