La polémique née des propos de Roger Cukierman, qui souligne la complexité du dialogue entre juifs et musulmans de France, à fleur de peau depuis les attentats de janvier, a vu mardi l'entrée en scène de François Hollande pour tenter de l'éteindre.
Le président de la République le reçoit mardi après-midi avec le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Dalil Boubakeur et compte adresser aux deux hommes un "message de rassemblement", a annoncé l'Elysée.
Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s'est retrouvé lundi dans la tempête pour ses propos ambigus sur Marine Le Pen, qualifiée d'"irréprochable personnellement", et sur les jeunes musulmans, auteur selon lui de "toutes les violences".
La polémique a pris d'autant plus d'ampleur qu'elle intervenait le jour même du 30e dîner annuel du Crif, événement oecuménique et politique chargé d'une symbolique particulière après les attentats de Paris, qui ont fait du 7 au 9 janvier 17 morts, dont 4 juifs tués dans un magasin casher.
Indigné par la stigmatisation des jeunes musulmans, le président du CFCM a préféré boycotter le dîner.
Les précisions du président du Crif, qui a assuré vouloir renouer le dialogue, n'ont en effet pas éteint la polémique. "On veut des excuses publiques. Ce n'est pas en catimini qu'on appelle le recteur de la Mosquée de Paris", a affirmé mardi Abdallah Zekri, le directeur de l'Observatoire national contre l'islamophobie.
"Nous sommes des citoyens de la République, il faut nous considérer comme tels. Nous, on ne commet pas d'actes terroristes", a-t-il ajouté.
Le président d'honneur du CFCM, Mohammed Moussaoui, a lui aussi souhaité "des propos apaisants qui permettent d'ouvrir le dialogue sur des bases saines".
- 'Une autre façon de vivre ensemble' -
Les responsables musulmans s'inquiètent d'un amalgame entre islam et terrorisme, et s'exaspèrent depuis janvier de l'injonction de réaffirmer leur adhésion aux valeurs de la République. L'emploi de l'expression "islamo-fascisme" par Manuel Valls a aussi fait grincer des dents. Et à l'accusation de M. Cukierman - selon laquelle "toutes les violences aujourd'hui sont commises par des jeunes musulmans" - ils rétorquent que la récente profanation du cimetière de Sarre-Union n'avait rien à voir avec l'islam.
Pour leur part, les juifs constatent une flambée des actes antisémites, qui ont doublé l'an dernier par rapport à 2014. Les morts de janvier à Paris et devant la synagogue de Copenhague le 14 février, rappellent que les juifs sont une cible du jihadisme. Et la France, qui abrite la première communauté juive d'Europe (un demi-million de membres) a vu le nombre de candidats à l'émigration vers Israël plus que tripler depuis 2012.
"On est dans un moment de vérité en France. On ne peut pas dire, faire comme si l'islamisme radical n'existe pas", a déclaré mardi le président du Consistoire israélite de France, Joël Mergui.
"C'est une question de transparence de dire que quand des actes sont commis en disant +Allah Akbar+ ils sont commis au nom de l'islam", a-t-il ajouté. "Quand des meurtres ont été faits en France, ou dans différents pays, en instrumentalisant l'islam, on a le devoir de le dire".
L'"esprit du 11 janvier" est-il en train de s'effriter ? Pour Malek Chebel, anthropologue des religions, "pendant les deux ou trois semaines qui ont suivi (les attentats, ndlr), il n'y a pas eu de débordement, on avait l'impression que le bon adversaire avait été identifié", mais "maintenant ça se relâche un peu et on rentre dans le mode habituel de la suspicion".
Depuis le 7 janvier, "on est devenus plus visibles les uns pas rapport aux autres", note-t-il, et cela a permis "une prise de conscience plus aiguë" des souffrances de la communauté juive d'une part, et du tort causé aux musulmans par les amalgames d'autre part.
Sans vouloir se prononcer sur la polémique Cukierman en elle-même, il note la nécessité d'une mutation du dialogue entre juifs et musulmans. "On est dans deux mouvements distincts : on règle un passif douloureux où les gens ne s'écoutaient pas mutuellement, une sorte d'autisme des deux côtés de la barrière, et en même temps il s'agit de créer une autre façon de vivre ensemble".
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