Avec plus de 200.000 abonnés, contre 10.000 avant l'attentat qui a décimé sa rédaction, Charlie Hebdo se retrouve face à un immense défi : comment pérenniser un nouveau public qui découvre l'hebdomadaire satirique dans un vaste élan de solidarité.
"Nous avons dépassé les 200.000 abonnés", a annoncé mardi à l'AFP Eric Portheault, co-gérant de Charlie Hebdo. Un engouement monstre pour l'hebdomadaire satirique, dont le prochain numéro sortira le 25 février.
Pour l'historien des médias Patrick Eveno, "ce ne sera pas simple de garder ces abonnés-là, qui sont venus pour exprimer leur solidarité et leur croyance dans la liberté d'expression".
"Mais ils ne repartiront pas tous rapidement. Il y en a qui vont découvrir le journal et s'y +acclimater+. S'ils gardent 50.000 abonnés, ils vivront grassement", assure Patrick Eveno, pour qui Charlie Hebdo va devoir infléchir son mode de fonctionnement.
Selon lui, pour "conserver le maximum d'abonnés, il faut que Charlie Hebdo, sans changer de nature, change un petit peu son système éditorial".
- 'Garder les fondamentaux' -
Toute la difficulté est là car, pour l'historien, l'hebdomadaire doit pouvoir s'adapter à la nouvelle donne tout en gardant "les fondamentaux".
D'autant plus que les nouvelles recettes sont sans précédent: à raison de 70 euros en moyenne l'abonnement, le journal devrait recueillir environ 14 millions d'euros, et cela sans compter les ventes en kiosque.
"Les recettes du journal (ventes et abonnements, ndlr) seront consacrées intégralement à sa pérennisation, quel qu'en soit le montant", a souligné Eric Portheault. "Il n'y aura pas de dividendes pour les actionnaires", a-t-il ajouté.
Le responsable précise par ailleurs que "le montant des dons sera intégralement reversé aux ayants droit des victimes".
Ces derniers avaient atteint mardi quelque 2,37 millions d'euros, apportés par plus de 30.000 personnes, a indiqué à l'AFP le fonds "Presse et pluralisme", qui centralise les dons des particuliers à Charlie Hebdo.
En cumulant ventes, abonnements, dons et aide publique, Charlie Hebdo pourrait recueillir près de 30 millions d'euros, une manne pour le magazine qui connaissait des difficultés financières avant l'attentat.
A la veille de l'attaque, lors d'un dîner, Patrick Pelloux, collaborateur de Charlie Hebdo, et Charb, ancien directeur du journal, s'étaient réjouis d'avoir gagné 50 abonnés, avait raconté le premier.
En novembre, Charlie Hebdo, dont les ventes de 28.000 exemplaires par semaine ne suffisaient plus à payer les salaires, avait lancé un appel aux dons pour survivre.
Déjà tiré à 7,3 millions d'exemplaires, vendus 3 euros pièce, le numéro des survivants, paru le 14 janvier, devrait par ailleurs rapporter plus de 10 millions d'euros nets si tous les exemplaires sont écoulés.
Le journal touchera la totalité des recettes pour le premier million d'exemplaires (soit 3 millions d'euros), dans le cadre d'une opération de solidarité de toute la chaîne d'impression et de distribution, qui a accepté de travailler gratuitement.
Comme habituellement pour ses ventes, le journal percevra en outre environ 40% des recettes sur les 6 millions d'exemplaires restants, soit quelque 7,5 millions d'euros supplémentaires.
S'ajoutent à cela une aide d'un million d'euros mise à disposition par le ministère de la Culture pour soutenir le titre sur le long terme, ainsi qu'un don de 250.000 euros du fonds Google/éditeurs pour l'innovation numérique de la presse (FINP) ou 132.000 euros du quotidien britannique The Guardian, parmi d'autres.
En plus de pérenniser le journal et d'aider les familles des victimes, ces sommes pourraient également servir à défendre la caricature. "Un projet de fondation pour le dessin de presse et les dessinateurs de presse est à l'étude", a indiqué Eric Portheault à l'AFP.
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