Chasseur de nazis, inlassable militant de la connaissance de la Shoah, le Français Serge Klarsfeld est confiant pour la mémoire du génocide juif. Mais il sait la fragilité de ce combat face aux crises qui couvent et à la montée d'un "nouvel antisémitisme".
Soixante-dix ans après la libération des camps, l'avocat et historien, fils d'un déporté à Auschwitz-Birkenau, mesure le chemin parcouru depuis la publication de son "Mémorial de la déportation des Juifs de France" en 1978.
"Si on se replace trois ou quatre décennies en arrière, où il n'y avait qu'aux Etats-Unis et en Israël que l'on travaillait à un niveau universitaire sur la Shoah, les progrès de la connaissance sont immenses", relève Serge Klarsfeld, 79 ans, dans un entretien à l'AFP.
"C'est un événement très bien connu. Même dans ses dimensions longtemps peu accessibles, comme ce qui s'est passé à l'Est, où les pays ont ouvert leurs archives" depuis la chute du Rideau de fer, note l'historien.
Serge Klarsfeld dit n'avoir "jamais eu d'ennuis particuliers" à se faire l'écho de l'extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, que ce soit "à Tunis, Bagdad, au Caire ou à Erbil", au Kurdistan irakien.
En France, il affiche sa confiance dans la volonté de l'Education nationale d'enseigner l'histoire de la Shoah, mais souhaite que cette transmission y soit "vraiment acceptée". Or il lui est revenu que cet enseignement pouvait être difficile dans certains établissements de quartiers populaires.
"L'antisémitisme s'est toujours transformé, comme une sorte de maladie qui se perpétue. Qui aurait pu penser il y a cinquante ans que l'antisémitisme toucherait des jeunes de banlieues, qui n'existaient pas encore? Ce nouvel antisémitisme s'appuie aussi sur une fraction de l'ultra-gauche et sur l'extrême droite, qui garde son noyau virulent d'antisémites. Une partie des jeunes de banlieue - pas tous, loin de là - sont solidaires d'un extrémisme. C'est un grand danger, évidemment", souligne-t-il quelques jours après les attentats jihadistes qui ont frappé Paris.
- Relier Shoah et colonisation -
"Les clichés les plus éculés des années 30 se retrouvent dans le langage, dans la vision de jeunes musulmans qui considèrent, comme lors de l'affaire Ilan Halimi (jeune homme torturé et assassiné près de Paris par le "Gang des barbares" en 2006, NDLR) que les Juifs sont riches, etc. Et puis il y a la crise. Dans une société où le chômage augmente", note Serge Klarsfeld, "quand les gens sont humiliés, ils se fichent de toutes les barrières mentales qu'on peut leur mettre". Et, note-t-il, "les Juifs trinquent toujours pendant les périodes de crise extrêmes".
Que faire? L'avocat de la cause des déportés a son idée pour faire échec à ce que des sociologues nomment concurrence des mémoires, des victimes: "Il faut relier la Shoah à l'aspect meurtrier de la colonisation, aux comportements délivrés de tout tabou par rapport à la vie et à la liberté des gens, à la question de la supériorité des races" que le colonialisme a pu véhiculer.
Faire mémoire du génocide juif pourrait ainsi "être mieux perçu par ceux qui s'estiment défavorisés et dont les grands-parents ou arrières-grands-parents ont été victimes de la colonisation", estime Serge Klarsfeld. "Psychologiquement, ça leur permettrait de comprendre que ce qui s'est abattu sur les Juifs était tout à fait extrême, mais avait été préparé par ce qui leur était arrivé à eux", leurs ancêtres.
François Hollande célèbrera mardi à Auschwitz le 70e anniversaire de la libération des camps de la mort nazis, sur fond de profonde inquiétude chez les juifs de France, trois semaines après les attentats jihadistes dans lesquels quatre d'entre eux ont été tués.
Plus globalement, l'historien juge nécessaire d'évoquer la Shoah comme "un événement qui a touché l'humanité", "questionné la nature de l'Homme". Au fond, fait-il valoir, "c'est quand même le peuple le plus avancé qui a essayé de détruire le peuple le plus ancien"
Pour prévenir, à l'avenir, une telle tragédie, "je dis toujours, dans mes discours: ce qu'il faut, c'est éviter les crises".
"Si l'on devait retenir un enseignement de la Shoah, finalement, ce serait que chacun dans le monde doit avoir sa dignité, la satisfaction de ses besoins", conclut-il.
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