Le profil des jeunes tentés en Europe de répondre à l'appel du jihad, en Syrie ou chez eux, s'est élargi et touche désormais toute une classe d'âge, bien au-delà des clichés sur les quartiers difficiles, selon des spécialistes.
"Pendant des années le discours intégriste a visé des jeunes fragiles, en perte de repères", explique à l'AFP l'anthropologue Dounia Bouzar, du Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l'Islam, auteur notamment de "Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l'enfer" (Editions L'atelier). "Familles décomposées, père déchu, alcoolique, incarcéré, violent ou drogué. C'étaient des jeunes faciles à embrigader, c'était le profil traditionnel".
"Mais on s'est aperçu au cours des derniers mois que les intégristes ont modifié leurs discours. Ils proposent désormais diverses motivations. Grâce à internet, ils proposent plusieurs types de rêves, d'utopies. Ils parviennent à toucher des jeunes qui ont un avenir social, qui peuvent être en deuxième année de Sciences Politiques ou en Médecine. Des jeunes issus de familles stables, aimantes, de classes moyennes. Des enfants de professeurs, de fonctionnaires, de médecins, d'avocats", ajoute-t-elle.
Des repentis qui ont fait des études supérieures "nous écrivent pour nous dire comment ils ont failli basculer () Ca n'a rien à voir avec l'immigration. La fille d'un grand médecin parisien est tombée dans leurs filets. Ce serait tellement facile si ce n'était qu'un phénomène social".
Si les auteurs des récentes attaques à Paris, contre le journal Charlie Hebdo ou le magasin casher, avaient des profils plus attendus, avec des passages en prison et des difficultés socio-économiques, la liste des apprentis-jihadistes partis grossir les rangs du groupe Etat islamique inclut des jeunes gens apparemment bien intégrés, avec des emplois ou engagés dans des études.
Certains ont grandi dans des cités ou des quartiers difficiles mais d'autres, comme par exemple le Français David Drugeon, devenu un artificier pour Al-Qaïda, ont eu une enfance sans problème dans des villes tranquilles, entre écoles et terrains de foot.
- Etudiants boutonneux -
Ainsi Mohamed Belhoucine, 27 ans, condamné en juillet à deux ans de prison pour animation de sites jihadistes, qui s'est ensuite envolé pour la Syrie, s'est radicalisé dans sa chambre d'étudiant à Albi (sud), où il avait réussi le difficile concours d'entrée à l?École des Mines, l'une des meilleures de France pour devenir ingénieur.
Et à Schiltigheim, petite ville près de Strasbourg (est), les amis de Youssoup Nassoulkhanov, un jeune Tchétchène exilé lui aussi en Syrie qui était assistant-infographiste à la mairie, ont été effarés en l'entendant, dans un film diffusé sur internet, lancer à ses "frères musulmans" : "Faites tout ce que vous pouvez, tuez-les, égorgez-les, brûlez leurs voitures, brûlez leurs maisons. Le califat va s?installer dans toute l?Europe".
"Je le connaissais, on discutait, on rigolait", confie à l'AFP Yann Lymand, 36 ans, responsable du service infographie de la mairie. "C'était un gentil garçon, il n'avait pas de haine vis-à-vis de la France ou des Français ou des non-musulmans".
Pour l'expert Thomas Hegghammer, directeur de recherches sur le terrorisme à l'Etablissement norvégien de recherches sur la défense (FFI) à Oslo, il est désormais certain que les autorités "ne parviendront sans doute jamais à dresser le profil pertinent du terroriste. Il n'y a bien entendu pas de profil-type. C'est désormais un large groupe humain, et ils sont tous différents".
"Certains sont attirés par l'action, d'autres cherchent des réponses simples à leurs questions, d'autres apprécient cette sous-culture ou cherchent à devenir membres d'une communauté", ajoute-t-il. "Mais il faut remarquer que certaines caractéristiques sont sur-représentées. Par exemple il apparaît que dans l'ensemble ils se situent sous la moyenne en matière socio-économique".
Pour le chercheur Olivier Roy, fin connaisseur de l'islam radical, auteur notamment de "En quête de l'Orient perdu" (Editions Seuil), il faut moins chercher les réponses à l'engouement pour le jihad de centaines de jeunes Européens dans la religion, qu'ils maîtrisent peu ou pas, que dans un mouvement générationnel.
"Lorsque vous êtes un jeune anti-système", confiait-il récemment au journal français L'Opinion, "entre quoi avez-vous le choix ? () L'écologie dure, avec leurs textes illisibles et prétentieux (d'étudiants en lettres) boutonneux, ou le jihad. Avec Daesh, vous êtes sûrs de faire la Une des médias et de plaire aux filles, comme Che Guevara".
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