Face à des caricaturistes chypriotes intrigués par l'insistance de Charlie Hebdo à épingler Mahomet, le dessinateur français Plantu a défendu la liberté d'expression des artistes, estimant qu'une "longue bataille pédagogique" sera nécessaire pour faire comprendre ce type d'image.
Lors d'un débat organisé samedi par son association Cartooning for Peace (Dessins pour la Paix), le caricaturiste du quotidien Le Monde a échangé avec des dessinateurs chypriotes grecs et turcs, après l'attentat qui a décimé le 7 janvier la rédaction de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, mené par deux frères jihadistes disant agir en représailles aux caricatures du prophète Mahomet publiées par ce journal.
Mustafa Tozaki, caricaturiste chypriote turc, s'interroge: "Si tu te moques du symbole d'une religion, comme Mahomet ou Jésus, tu blesses des millions de gens, ça sert à quoi? Moi, j'ai trop de problèmes dans mon pays pour m'occuper de religion". Ses dessins quotidiens sont surtout alimentés par la politique intérieure - la division de l'île, l'occupation turque, les jeux d'influence des puissances étrangères attirées par le gaz.
"Tous les artistes ont tous les droits de s'exprimer et de raconter ce qu'ils ont envie de faire partager", rétorque Plantu.
"Mais ce n'est pas suffisant. Il faut savoir qu'il peut y avoir derrière la porte ou au coin de la rue des gens qui ne comprennent rien aux images, et donc on a un travail pédagogique, national, européen et international, à faire, avec les premiers fantassins de la démocratie, les professeurs, instituteurs et institutrices", déclare-t-il.
A Chypre Nord, partie sous occupation turque et majoritairement musulmane de l'île, un journal a reproduit sans incident la Une du journal satirique français publiée une semaine après l'attentat avec un Mahomet la larme à l'oeil portant l'affiche "Je suis Charlie".
Mais dans le monde musulman, du Niger au Pakistan en passant par l'Algérie, des milliers de manifestants ont protesté ces derniers jours, parfois violemment, contre la nouvelle caricature du prophète. Les violences au Niger ont fait dix morts en deux jours.
"On est au tout début de la guerre contre les fondamentalismes, mais surtout au début d'une bataille pédagogique, éducative", insiste le caricaturiste parisien.
- Se fixer des limites -
Dans la République de Chypre, hellénophone et très majoritairement orthodoxe, "on peut faire des dessins de Jésus ou de qui on veut", dit Atan, caricaturiste du journal Politis, tout en critiquant la publication de caricatures de Mahomet.
"Nous devons avoir des limites. J'essaie par exemple d'éviter certaines images, telles que la crucifixion ou la Cène. Je les utilise parfois, comme métaphore politique () mais quand j'ai une alternative, je les évite, car je ne veux pas choquer quelqu'un avec une référence religieuse".
En revanche, tous les coups sont permis pour critiquer l'ennemi turc, y compris dénoncer les violations de la liberté d'expression en Turquie par un dessin du président turc Erdogan en jihadiste prêt à décapiter un otage portant l'insigne "presse".
Plantu, épinglé dans le dernier Charlie Hebdo par une pancarte "Je suis Charlie, mais" en raison de son interprétation moins radicale de la liberté d'expression, prend des précautions pour représenter les religions: distinguer le fondamentaliste du croyant moyen, ou représenter les trois religions monothéistes quand il pointe du doigt un travers commun.
Mais lorsque ses interlocuteurs critiquent les dessins plus provocateurs de Charlie Hebdo, il estime urgent d'expliquer "que ces dessinateurs n'ont pas voulu humilier telle ou telle religion, ils ont juste voulu faire des blagues sur des dessins".
Plantu envisage d'ailleurs de se rendre au Pakistan cette semaine, voyage prévu de longue date avec son association, si la situation sécuritaire le permet.
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