Il y a une semaine, ils étaient dans les cortèges pour la liberté d'expression. Mais la nouvelle caricature de Mahomet en Une de Charlie Hebdo a agacé des religieux, musulmans comme catholiques, qui appellent au respect et à ne pas confondre humour et droit au blasphème.
Le dessin du prophète de l'islam la larme à l'?il, un turban et un nez aux formes équivoques, une pancarte "Je suis Charlie" dans les mains, passe mal.
Dans le monde musulman, cette caricature - alors même que toute représentation de Mahomet est jugée offensante par la plupart des fidèles - a suscité manifestations voire émeutes du Yémen au Niger, où dix personnes ont été tuées et une dizaine d'églises incendiées ou vandalisées.
En France, les responsables musulmans ont réagi avec mesure, sans cacher leur irritation. Tout en appelant au "calme", ils ont relayé "l'émotion et l'indignation suscitées" par cette publication qui "heurte la sensibilité des musulmans". Un vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Ahmet Ogras, lié à la Turquie, est allé plus loin en jugeant "inadmissible" que Charlie "persiste et signe", vu la "conjoncture".
Le journal "a donné un bon prétexte" à "toutes les personnes qui veulent mettre le désordre" dans le monde, selon ce responsable. "Est-ce que c'est intelligent?"
Les réserves, voire les critiques, dépassent largement les frontières de l'islam. Le pape François a estimé que la liberté d'expression devait s'exercer "sans offenser" car "on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision".
En France un évêque, celui de Blois, a rappelé que l'interdit de représentation ne relève pas d'une idolâtrie envers la personne de Mahomet, "mais au contraire d'un refus délibéré de la sacraliser". Et dans sa tribune au Figaro, Mgr Jean-Pierre Batut estime que "la culture de la dérision a montré ses limites: les sociétés occidentales se déshonorent si elles la présentent comme le nec plus ultra de la pensée et si elles mettent le monde entier en demeure d'y adhérer".
- 'Il n'y a pas de mais' -
En charge des relations avec l'islam à la Conférence des évêques de France, le père Christophe Roucou s'inquiète de la réception des caricatures dans le monde musulman. "Avec la globalisation, une image qui sort à Paris arrive au Pakistan ou au Niger à des populations qui n'ont pas forcément les clés culturelles pour la décrypter", confie à l'AFP ce prêtre longtemps en poste en Egypte. Lequel juge déplacée l'injonction faite aux cultes par l'ONG Reporters sans frontières de promouvoir un droit au blasphème. "Je suis contre le délit de blasphème, mais je ne vais pas appeler au droit au blasphème", répond-il.
Même son de cloche à l'Institut catholique de la Méditerranée à Marseille, qui s'est fendu d'un texte soulignant que "le principe d'une vraie liberté d'expression, c'est l'esprit critique, pas l'invective ou l'irrespect, sinon aucune vie en société ne sera possible. Alors, à ce prétendu +droit au blasphème+, nous préférons un +droit au débat+".
Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, fait entendre une voix différente. "Si quelque chose est blasphématoire pour moi, je ne le regarde pas", a-t-il dit au Figaro. "Si vous commencez à dire +liberté de la presse mais+, le +mais+ est coupable. Il n'y a pas de +mais+. Liberté d'expression et liberté de la presse sont des fondements de notre démocratie."
"Nos amis juifs ont une capacité à rire d'eux-mêmes que nous avons peut-être moins dans les traditions musulmane et chrétienne", relève le père Roucou.
La très sérieuse revue jésuite Etudes en a fait l'amère expérience. Par solidarité confraternelle envers Charlie Hebdo, elle avait mis en ligne des dessins de l'hebdomadaire faisant de l'humour sur le Christ et le pape qu'elle a préféré retirer devant les protestations.
"C'était un moyen d'affirmer que la foi chrétienne est plus forte que les caricatures que l'on peut en faire, même si des chrétiens en ont été offensés", se défend la revue, qui prévoit de "poursuivre librement" la réflexion.
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