Plus de vingt pays, cinq langues, 3 millions d'exemplaires avec Mahomet en Une: attendu dans le monde entier, le nouveau Charlie Hebdo, signé par les rescapés de l'attentat, s'est arraché dès sa parution mercredi matin, mais sa sortie suscite des remous dans le monde musulman.
A la gare Saint-Lazare à Paris, avant même l'ouverture à 06H00, une soixantaine de personnes faisaient la queue devant un des marchands de journaux. "Ils auraient dû en prévoir plus dès aujourd'hui. Je n'arriverai pas à faire face à la demande", a déploré Marie-Claire, la gérante du magasin.
Au métro Belleville, dans le 19e arrondissement, le kiosquier a eu beau limiter les achats à deux journaux par personne, ses 150 exemplaires avaient déjà été dévalisés à 06H30.
Place de la Bourse, dans le centre de la capitale, le marchand de journaux affichait dès l'ouverture "Pas de Charlie Hebdo" sur sa devanture, tous les numéros ayant déjà été réservés par ses clients depuis vendredi.
Pour ce "numéro des survivants", le petit journal satirique français, dont l'équipe a été décimée par deux jihadistes dans l'un des pires attentats jamais perpétrés en France, persiste et signe avec une couverture représentant le prophète de l'islam, la larme à l'oeil, tenant une pancarte "Je suis Charlie". Tout comme l'ont fait dimanche des millions de manifestants en France et dans le monde. Au-dessus, les mots "Tout est pardonné".
Devenu un symbole de la liberté d'expression, Charlie Hebdo est réclamé partout, jusqu'en Inde et en Australie: le journal, qui ne se vendait qu'à 30.000 exemplaires dont une poignée à l'étranger, a fait imprimer 3 millions de ce numéro post-attentat diffusé dans plus de 20 pays - un record pour la presse française. Il a été traduit en cinq langues: espagnol, arabe et anglais dans des versions numériques, en italien et en turc pour des versions papier.
Les kiosquiers français, qui s'attendaient à être dévalisés, seront approvisionnés tous les jours jusqu'au 19 janvier et le journal devrait rester en vente plusieurs semaines.
La Une sur Mahomet, dévoilée dès mardi, a déjà été reproduite par de très nombreux médias et sites dans le monde, surtout en Europe, après la marche de dimanche qui a réuni à Paris une cinquantaine de dirigeants étrangers.
- 'Ni logique, ni sage' -
Elle a en revanche été occultée par les grands médias des pays musulmans et dans certains pays d'Afrique ou d'Asie car l'islam interdit de représenter le prophète.
En Turquie, le quotidien d'opposition Cumhuriyet a prévu, lui, de publier en turc une large partie du numéro.
Le Mahomet de Charlie Hebdo était aussi absent des grands médias aux Etats-Unis, où la satire religieuse est taboue, et de la plupart des journaux britanniques. Washington a cependant tenu à affirmer mardi son "soutien absolu au droit de Charlie Hebdo" à publier cette Une.
La nouvelle caricature de Mahomet a en revanche déclenché la colère de certaines instances musulmanes. Al-Azhar, principale autorité de l'islam sunnite basée en Egypte, a estimé qu'elle allait "attiser la haine".
L'instance représentant l'islam auprès des autorités égyptiennes, Dar al-Ifta, l'a qualifiée de "provocation". En Iran, le site d'information Tabnak (conservateur) estime que Charlie Hebdo "insulte de nouveau le prophète".
"Il n'est ni raisonnable, ni logique, ni sage de publier les dessins et les films offensant le prophète ou attaquant l'islam", écrit de son côté dans un communiqué l'Union mondiale des oulémas musulmans, basée au Qatar et présidée par le prédicateur qatari d'origine égyptienne Youssef al-Qaradaoui, considéré comme l'éminence grise des Frères musulmans.
De leur côté, les responsables de l'islam de France ont appelé au calme, à la veille de la parution.
En février 2006, Charlie Hebdo avait, comme plusieurs journaux européens, repris 12 caricatures de Mahomet publiées par le quotidien danois Jyllands-Posten, qui avaient suscité des manifestations violentes dans le monde musulman. Depuis, le journal français, qui a continué de dessiner régulièrement Mahomet, était devenu une cible emblématique pour les intégristes.
"Notre Mahomet est vachement plus sympa que celui brandi par ceux qui ont tiré. C'est un bonhomme qui pleure avant toute chose", se sont défendus les survivants du journal. "L'état d'esprit +Je suis Charlie+, cela veut dire aussi le +droit au blasphème+", a résumé leur avocat, Richard Malka, réfutant avec virulence toute accusation d'islamophobie.
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