"Laisser partir" Vincent Lambert dignement ou empêcher son "euthanasie déguisée": la famille déchirée du tétraplégique en état végétatif a pu exposer mercredi ses arguments devant la Cour européenne des droits de l'Homme, appelée à trancher cette affaire aux enjeux éthiques complexes.
Les 17 juges de la Cour de Strasbourg ont écouté pendant deux heures les protagonistes de ce feuilleton judiciaire à rebondissements. Mais ils ne rendront pas leur arrêt "avant au moins deux mois", a estimé une source proche de la juridiction.
Ce sont les parents de Vincent Lambert, avec une de ses soeurs et un demi-frère, qui ont saisi la CEDH pour contester une décision rendue en juin par le Conseil d'Etat, en faveur de l'arrêt de son alimentation et de son hydratation artificielles.
La Cour avait aussitôt suspendu la mise en oeuvre de cette décision pour se donner le temps d'examiner à son tour le fond du dossier.
Victime d'un grave accident de la route en 2008, Vincent Lambert, 38 ans, souffre de lésions cérébrales irréversibles. Il est actuellement hospitalisé dans un service de soins palliatifs à Reims.
La décision d'arrêt de ses "traitements" (le terme est contesté par les requérants) avait été prise il y a un an par ce service, avec l'assentiment de son épouse Rachel, de cinq frères et soeurs, et d'un neveu, avant d'être annulée par un tribunal administratif, puis validée in fine par la plus haute juridiction administrative française.
Les dernières expertises médicales ont établi "une dégradation de l'état de conscience de M. Lambert", a plaidé devant la Cour François Alabrune, le directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, qui représentait la France.
C'est à raison que le Conseil d'Etat a considéré qu'une poursuite des traitements relèverait de "l'obstination déraisonnable", a-t-il estimé, jugeant que le cadre tracé par la loi Leonetti de 2005, qui régit la fin de vie, avait été respecté.
Le Conseil d'Etat s'est aussi appuyé sur la volonté exprimée par Vincent avant son accident, selon sa femme, de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans un état de grande dépendance.
Eprouvée, Rachel Lambert, 33 ans, "tiers intervenant" dans la procédure devant la CEDH, n'a pas souhaité s'épancher mercredi devant les médias. Mais son conseil, Me Laurent Pettiti, a lu devant la Cour des extraits de son livre: "Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d'amour", y écrivait-elle.
-"Euthanasie déguisée"-
"Il ne voulait surtout pas être un légume, il en parlait de façon assez spontanée", a dit aux journalistes François Lambert, neveu de Vincent.
Mais les parents du tétraplégique, des catholiques traditionalistes qui récusent tout lien de leur position avec leur foi, n'en démordent pas et dénoncent une "euthanasie déguisée". Leur fils n'avait pas rédigé de directives anticipées, soulignent-ils. "J'espère que la CEDH va pouvoir arrêter cette folie, Vincent n'est pas en fin de vie, il est handicapé", a dit Viviane Lambert à l'AFP.
Leur fils "ne reçoit aucun traitement médicamenteux, il n'est relié à aucune machine", a argué leur avocat, Me Jean Paillot, devant la Cour. "Sa situation de santé est stable, elle pourrait même s'améliorer", a-t-il affirmé, rappelant la demande de ses clients de le transférer dans une service spécialisé.
Selon lui, cesser d'alimenter et d'hydrater Vincent Lambert constituerait une violation du "droit à la vie" et un traitement "inhumain ou dégradant".
"Au6delà de la situation de Vincent Lambert, c'est la situation d'environ 1.700 personnes en France, qui se trouvent dans le même état de santé (), qui se joue aujourd'hui", a fait valoir Me Paillot.
"Notre société ne peut pas fonctionner comme le jeu télévisé +Le maillon faible+, où le plus mauvais des candidats est éliminé", a-t-il encore plaidé.
Si les parents de Vincent Lambert n'avaient pas gain de cause devant la CEDH, ils envisageraient "d'autres pistes de poursuite" en France, ont dit leurs avocats à l'AFP.
Ce nouvel épisode de cette affaire intervient alors que l'Assemblée nationale s'apprête à débattre, le 21 janvier, de propositions des députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) pour aménager la loi de 2005 sur la fin de vie.
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