Dans l'ombre de stars comme la Tour Eiffel, la France compte des milliers de monuments modestes, parfois menacés: Mohamed Bekada, historien de 26 ans, vient d'achever une odyssée pédestre d'un an et 6.500 km pour sensibiliser l'opinion à la sauvegarde de ce patrimoine.
"Quand j'ai vu qu'on a mis 25 millions d'euros pour refaire le sol panoramique de la Tour Eiffel en 2012, ça m'a fait un électrochoc!", confie-t-il à l'AFP, frustré par cette considération à géométrie variable. C'est ce qui a décidé ce titulaire d'un master d'histoire et d'archéologie au sourire chaleureux à se consacrer pendant deux ans à son projet.
Celui qu'on surnomme "Becket" a bouclé sa grande boucle samedi, au pied de la Tour Eiffel -un symbole-, où étaient venus l'accueillir une dizaine d'élus rencontrés à travers la France depuis son départ le 1er janvier 2014. Soit près d'un an à sillonner la France à pieds sur une trentaine de kilomètres en moyenne par jour, en tractant sur une charrette 75 kg de matériel (tente, GPS,).
"L'effort physique est un outil de sensibilisation incroyable. Plus l'exploit est grand, plus cela parle aux gens", glisse-t-il.
Face au chômage, à la crise économique et aux déficits publics, la sauvegarde du patrimoine est "loin d'être une priorité" pour les ministères et les 531 communes contactées pour participer au projet, déplore Mohamed Bekada, qui a déboursé 30.000 euros pour l'aventure.
- 'Ma France méconnue' -
Au cours de son périple, "Becket" a recensé des perles oubliées en prenant plus de 50.000 photos et en filmant ses rencontres avec les habitants soucieux de protéger leurs trésors. Comme cette petite chouette en bois sculpté rencontrée à Maromme (Haute-Normandie), ces tableaux retrouvés dans le grenier d'une église près de Beaufort (Savoie), les remparts médiévaux de Bollwerk (Haut-Rhin) ou ce cinéma-théâtre à l'architecture atypique à Challans (Vendée)
"Becket" souhaite utiliser cette masse de documents pour faire un livre, qu'il prévoit d'intituler "Ma France méconnue".
"Un monument mis en valeur peut rendre les commerces aux alentours attractifs et générer des emplois", plaide-t-il en donnant l'exemple "formidable" d'une ancienne corderie d'Etaples-sur-mer (Nord-Pas-de-Calais), transformée en un musée de la marine à succès (40.000 visiteurs par an) qui emploie d'anciens pêcheurs mis sur le carreau.
Avant son arrivée sous la Tour Eiffel, "Becket" n'a pas pu s'empêcher de faire un petit détour à l'Eglise Sainte Rita dans le XVe arrondissement de Paris, célèbre pour sa messe des animaux, et menacée de démolition par des promoteurs immobiliers. "C'est formidable d'avoir son soutien", a déclaré à l'AFP le maire du XVe Philippe Goujon.
- 'Rentre dans ton pays' -
Le périple n'a pas été de tout repos: couple d'animaux qu'il pense être des loups rôdant autour de sa tente dans les Alpes, attaque de vautours dans les Pyrénées, tentative de racket sur une départementale des Bouches du Rhône. Mais le pire souvenir de l'aventurier, originaire d'Algérie par ses parents, restera le racisme.
"J'ai entendu des +sale Arabe+, +rentre dans ton pays+, +arrêtez de piquer l'argent du contribuable+. Des gens ont même couru quand je venais vers eux pour leur demander un renseignement", soupire Mohamed Bekada, originaire d'un quartier sensible d'Asnières en banlieue parisienne.
"La première fois ça fait mal, mais après je ne faisais plus attention", ajoute-t-il, assurant qu'il utilisait à dessein son surnom de "Becket" pour demander des rendez-vous à des maires, après avoir essuyé des refus en se présentant comme "Mohamed".
Il veut pourtant croire que son périple passionné a aidé à briser les préjugés: "Je pense avoir ressenti ce qu'a dû ressentir Zidane après le Mondial 1998. On a oublié ses origines pour ne voir que ses exploits".
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