Le Nicaragua inaugure lundi la construction d'un canal interocéanique avec l'ambition de concurrencer celui du Panama, malgré les doutes sur ce projet mené par un groupe chinois et critiqué par la population pour son impact écologique.
"Le 22 décembre, ce qui a été un rêve pour des générations depuis un siècle au Nicaragua va commencer à devenir réalité", a déclaré à l'AFP Telémaco Talavera, porte-parole de la Commission du Canal et de l'entreprise chinoise HK Nicaragua Development Investment (HKND).
HKND, un groupe inconnu jusque-là, est chargé de ce chantier pharaonique, estimé à 50 milliards de dollars (cinq fois le PIB du pays), soit le projet le plus ambitieux d'Amérique latine.
Les travaux seront inaugurés par le président Daniel Ortega et le patron de HKND, le magnat chinois Wang Jing, lors d'une cérémonie à Managua.
Mais la population locale ne semble pas partager ce "rêve" : depuis des mois, les manifestations se multiplient, de paysans menacés d'expropriation mais aussi d'associations inquiètes du risque de catastrophe écologique.
"Si l'on additionne les 15 manifestations locales organisées en deux mois et demi, au total il y a eu 40.000 participants", expliquait récemment à l'AFP Monica Lopez Baltodano, directrice de la fondation de développement local Popolna, l'une des organisatrices des protestations.
Les travaux débuteront au niveau de l'embouchure du fleuve Brito, sur la côte Pacifique sud.
Il s'agira d'abord de construire les premiers chemins d'accès au canal et un port, étape qui occupera quelque 300 des 50.000 ouvriers que HKND prévoit d'employer lors des cinq années que durera le projet, selon l'Australien Bill Wild, principal consultant du projet.
Le canal traversera ensuite le lac Cocibolca, plus grande réserve d'eau douce d'Amérique centrale, continuera son chemin à travers des forêts tropicales et au moins une quarantaine d'agglomérations avant d'aboutir à l'embouchure de la rivière Punta Gorda, côté Caraïbes.
D'une profondeur de 30 mètres, il permettra le passage de bateaux de jusqu'à 400.000 tonnes.
- 'Couper le Nicaragua en deux' -
Le chantier, dont les études de viabilité technique, environnementale et financière restent secrètes, menace de déplacer 30.000 paysans et indigènes ramas et nahuas qui vivent sur le tracé définitif.
"Nous ne voulons pas qu'ils coupent le Nicaragua en deux", témoignait il y a peu un des manifestants, Wilson Pross, 27 ans.
La crainte est aussi que le canal, en traversant le lac Cocibolca, n'y fasse entrer de l'eau salée, ce qui menacerait les espèces locales, dont le requin-bouledogue, qui vit en eau douce.
Le gouvernement rétorque que le canal est soutenu par la majorité de la population et que c'est la manière la plus rapide de sortir de la pauvreté, qui touche 45% de la population au Nicaragua.
Il assure même que l'infrastructure fera du pays le plus riche d'Amérique centrale.
"Le projet fait face à de gros obstacles", estime James Bosworth, analyste de la société américaine de conseils Southern Pulse, citant les difficultés techniques et la forte opposition populaire.
Mais "en réalité, le contrat (avec HKND, ndlr) va beaucoup plus loin que le simple canal. Il offre des opportunités pour de nombreux projets d'infrastructures dont des ports, des routes, un complexe touristique et un aéroport rénové", qui eux "sont certainement viables économiquement".
Et "logiquement, si le canal finit par se construire, la présence des entreprises chinoises dans toute la région se multipliera", ajoute Ronald Arce, chercheur au Centre latinoaméricain pour la compétitivité et le développement durable (CLACDS), organisme de recherche de l'école de commerce Incae, au Costa Rica.
Car l'arrivée de groupes chinois en Amérique centrale, jusque-là chasse gardée de Etats-Unis, "est un phénomène vraiment récent" : "pour le moment, leur présence est en phase d'introduction, avec des investissements relativement petits".
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