Le corbillard traverse lentement le cimetière de Benfica, à Lisbonne, suivi de quatre personnes marchant en silence sous la bruine glacée de décembre. Ce ne sont pourtant pas les proches du défunt, mais des bénévoles qui connaissent à peine son prénom.
Depuis 2004, les membres de la confrérie catholique de la Miséricorde et de Saint Roch ont accompagné les funérailles de 1.250 personnes décédées dans la capitale portugaise "sans famille, sans abri, sans amour".
Il s'agit de personnes âgées abandonnées dans les hôpitaux, de sans-abri ou de sans-papiers, d'immigrés dont les familles n'ont pas pu rapatrier la dépouille, et parfois même de bébés morts-nés laissés à la maternité ou de nouveau-nés retrouvés dans les ordures. Parmi les adultes, les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes.
"Nous ne pouvons pas leur tenir la main quand la mort arrive, mais nous pouvons les accompagner avec dignité lors de leur dernier parcours sur cette terre", témoigne Mario Pinto Coelho, un des responsables de la confrérie.
Inspiratrice de cette initiative, Ana Campos Reis a commencé par se rendre aux funérailles de malades du sida rejetés par leurs familles. Depuis, cette infirmière de formation dit avoir accompagné "plus de 2.000 enterrements".
La femme de 62 ans compte d'ailleurs publier un livre racontant cinq cas dont elle a cherché à connaître l'histoire et qui l'ont particulièrement marquée. "Quand il s'agit d'enfants, il est inévitable de se demander +pourquoi?+, +où sont tes parents?+", confie-t-elle.
- 'Savoir leur nom' -
Cet après-midi de décembre, les membres de la confrérie savent seulement qu'ils enterrent une femme nommée Laura, décédée à l'âge de 99 ans.
"Parfois on apprend qu'ils sont morts chez eux, à l'hôpital ou dans la rue, mais dans certains cas les services médico-légaux et la police ne parviennent même pas à savoir leur nom", explique M. Pinto Coelho.
Sur les quelque 150 membres que compte la confrérie, une quinzaine se relaient pour assurer la réalisation de la dernière des sept "oeuvres de miséricorde spirituelle" énoncées par la doctrine catholique: "prier Dieu pour les vivants et pour les morts".
La septième "oeuvre de miséricorde corporelle", qui consiste à "ensevelir les morts", autrement dit à payer pour ces enterrements, est prise en charge par la Santa Casa da Misericordia de Lisbonne, une institution fondée par l'Eglise il y a plus de 500 ans et dont l'activité est actuellement financée par les recettes des jeux de loterie.
Au bout du cimetière de Benfica, près d'un mur longeant une bretelle d'autoroute qui traverse ce quartier du nord de Lisbonne, le père Cecilio célèbre une brève cérémonie funèbre. "Merci beaucoup, au nom de Laura, pour ce geste de charité", dit-il aux membres de la confrérie de Saint Roch en guise de conclusion.
- 'Anges gardiens' -
Leur bénévolat finit par peser sur le moral et le plan d'activités annuel de la confrérie prévoit pour eux un programme de "soutien spirituel et psychologique".
"On m'a demandé une fois si je n'étais pas hantée par ces gens dont j'ai accompagné l'enterrement. J'en ai souffert, mais ils sont davantage mes anges gardiens que des fantômes", dit avec sa voix douce Mme Campos Reis.
Pour Ana Cristina, une bénévole, sa présence représente "un acte d'amour et de compassion". "C'est très triste de penser que des gens peuvent mourir et que personne ne sera à leur enterrement", poursuit cette quadragénaire, bouquet de lys jaunes entre les mains.
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