Des couleurs flashy et des motifs géométriques extravagants: 25 ans après la chute du Rideau de fer, des maisons hongroises témoignent d'une époque où la fantaisie des crépis offrait une rare échappatoire à la grisaille communiste, un passé aujourd'hui refoulé.
Construites à quelque 800.000 exemplaires à travers le pays dans les années 1960 et 1970, les "cubes de Kadar", du nom du dirigeant communiste de l'époque, étaient censés offrir aux Hongrois un confort pavillonnaire égalitaire, sur 100 mètres carrés.
"Mais les autorités n'avaient édicté aucun règlement concernant leur crépi. Et beaucoup se sont mis à personnaliser leur maison à leur manière", évoque le maçon Istvan Pucher, 72 ans, qui se souvient avoir construit quelque 220 "cubes", et en avoir décoré une bonne vingtaine.
"Les gens ne voulaient pas avoir la même décoration que leur voisin. J'ai eu à imaginer différents dessins, différents motifs. Plus les gens en demandaient, plus nous devions faire preuve d'imagination", se souvient-il.
Plusieurs milliers de ces maisons émaillent aujourd'hui encore les rues du pays, avec leurs trompe-l'oeil cubistes dignes des plus grandes heures de l'op-art (art optique), comme à Kozarmisleny, dans le sud du pays.
Le style s'est même étendu à des bâtiments plus anciens, comme des fermes en rase campagne, note Mate Tamaski, sociologue spécialisé dans l'architecture hongroise en zone rurale.
La difficulté de réaliser sans cesse des motifs originaux était accrue par le fait que sous le régime communiste les artisans devaient composer avec un choix réduit de matériaux et de couleurs, rappelle M. Pucher.
- 'Décorations subversives' -
"C'est devenu avec le temps un phénomène décoratif à part entière, avec ses propres codes et son propre langage esthétique", s'extasie la photographe allemande Katharina Roters, auteur de "Décorations subversives sous le socialisme", un livre sur le sujet.
"Inconsciemment, c'était une façon pour les gens de se définir face à la volonté d'homogénéisation du socialisme", souligne son mari, le documentariste hongrois Jozsef Szolnoki.
L'excentricité des motifs - cantonnés dans un registre géométrique politiquement neutre - était tolérée dans le cadre d'un contrat social tacite mis en place après l'écrasement de l'insurrection de Budapest de 1956, et qui autorisait une dose d'individualisme et un confort matériel relatif en échange d'une soumission au régime, analyse M. Szolnoki.
Mais ces maisons, qui font aujourd'hui la joie d'esthètes étrangers avertis, sont ignorées en Hongrie, où elles sont au mieux considérées comme les vestiges d'un passé que l'on aimerait oublier.
"Le drame est que ces maisons, qui ont changé l'image du pays, sont devenues invisibles" pour la population, note M. Szolnoki, selon qui "il y a une grande part de refoulement à ne pas vouloir les voir".
Aucun de ces bâtiments ne fait l'objet de mesures de protection, et aucune valorisation touristique n'a jusqu'à présent été envisagée, selon l'office national du tourisme.
"Il est quasiment impossible de savoir combien il reste de ces maisons peintes", avoue M Tamaski.
Mme Roters veut cependant espérer que ce patrimoine pourra un jour être exploité, avant que les décorations ne disparaissent les unes après les autres au fil des rénovations de l'habitat. "Elle reflètent l'ambiance intellectuelle d'une époque. C'est ce qui les rend unique", estime-t-elle.
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