"Je pensais que l'explosion faisait partie du spectacle", raconte l'artiste afghan Ahmad Nasir Sarmast, rescapé de l'attaque d'un jeune kamikaze taliban contre une pièce de théâtre à l'Institut français de Kaboul dénonçant justement les attentats suicide.
Jeudi, en fin de journée, une foule compacte assiste à la pièce "Heartbeat: silence after the explosion" (Battement de coeur, le silence après l'explosion), un cri du coeur contre les attentats suicide qui tissent toujours le quotidien des Afghans treize ans après la chute des talibans.
Une vingtaine de minutes après le début du spectacle, présenté devant un public captif, un personnage qui n'apparaît pas dans le script fait son entrée en scène: un kamikaze adolescent au rôle écrit sur mesure par les talibans.
"Tout d'un coup, il y a eu une forte explosion, je suis tombé par terre, la face contre le plancher, je pensais que l'explosion faisait partie du spectacle", raconte Ahmad, directeur de l'Institut national de musique dont des élèves jouaient la trame de ce récit afghan. La réalité venait de rattraper la fiction
"Lorsque j'ai rouvert les yeux, j'étais allongé sur le corps d'une femme (inerte, ndlr), je me suis levé, j'ai vu un étranger qui avait perdu la moitié de son visage et je me suis précipité vers la scène. Heureusement mes élèves étaient sains et saufs", souffle-t-il, encore secoué.
Les survivants se sont précipités vers la sortie, les ambulanciers ont ramassé les corps plus ou moins inertes au sol, la police a érigé un périmètre de sécurité, et la nouvelle de l'attaque s'est propagée comme une traînée de poudre jusqu'à Paris et New York: un mort -de nationalité allemande- et quinze blessés dans un attentat à Kaboul.
La communauté internationale a rapidement dénoncé l'attaque qui a fait plusieurs morts, mais aucun Français, selon le chef de la diplomatie française Laurent Fabius et des témoins oculaires, alors que les autorités afghanes maintiennent le bilan d'un seul décès, d'un étranger.
Pour Ahmad, il ne fait aucun doute: "c'était une attaque contre la culture, une attaque contre l'éducation". Et pour une rare fois, son interprétation colle avec celle des talibans.
La pièce de théâtre en question "désacralisait les valeurs de l'islam" et représentait "de la propagande contre le jihad", la "guerre sainte" contre les forces étrangères de l'Otan en sol afghan, tonne le porte-parole des talibans Zabiullah Mujahid.
Inauguré en 1970, mais fermé de 1983 à 2002 à cause de la guerre, l'Institut culturel français de Kaboul, reste aujourd'hui l'un des lieux phares de la capitale pour les concerts et les expositions.
Ce centre culturel est de surcroît niché dans le complexe du lycée Esteqlal, financé par la France et qui a appris le français à plusieurs générations d'écoliers afghans dont le célèbre héros de la résistance contre les Soviétiques et les talibans Ahmad Shah Massoud.
"C'est un lieu tellement sûr, protégé, une si forte explosion contre des civils innocents, je n'y croyais pas", confesse Shekib Mohammadi, un caméraman de 23 ans filmant la pièce pour la chaîne locale Mitra. "Personne ne pouvait s'attendre à une attaque là-bas", dit-il de son lit d'hôpital.
Avec une recrudescence des attentats en Afghanistan et en particulier contre les intérêts étrangers à Kaboul, les talibans veulent envoyer un message clair à deux semaines de la fin de la mission de combat de l'Otan: ils sont à prendre au sérieux. Et pourrait rétablir le silence radio dans la capitale afghane.
Pour Ahmad Nasir Sarmast, pas question de faire taire les artistes et la population. "Nous allons revenir plus forts qu'hier", assure-t-il de son lit d'hôpital, la tête entaillée d'éclats d'obus et enturbannée d'un épais bandage.
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