L'usage de techniques d'interrogatoire "renforcées" par la CIA après le 11-Septembre, et dénoncées par Barack Obama comme de la torture, n'a pas permis de déjouer des menaces imminentes d'attentats, conclut un extraordinaire rapport du Sénat immédiatement contesté par l'agence d'espionnage.
Le rapport d'enquête publié mardi par les élus démocrates de la commission du Renseignement du Sénat constitue l'examen le plus minutieux, et le plus officiel, d'un programme lancé en grand secret après le 11-Septembre sous la présidence de George W. Bush pour traquer et interroger hors cadre judiciaire des responsables d'Al-Qaïda.
La réouverture de ce chapitre noir de la "guerre contre le terrorisme" a déclenché une controverse aux Etats-Unis sur les limites de la transparence, dans le contexte d'une montée des risques terroristes liés à l'organisation Etat islamique, et sur l'efficacité de la torture en général.
Dans 20 conclusions et 525 pages d'informations déclassifiées, la commission, contrôlée par les démocrates, accuse l'agence d'avoir soumis 39 détenus à des techniques brutales, dont certaines n'étaient pas autorisées par l'exécutif américain.
Barack Obama a réitéré que ces méthodes avaient "fortement terni la réputation de l'Amérique dans le monde". Il a avancé le besoin impérieux de transparence, afin de tourner la page.
Dans d'insoutenables détails, le rapport décrit comment les détenus ont été jetés contre les murs, dénudés, placés dans des bains glacés, privés de sommeil pendant une semaine, frappés. Le détenu Abou Zoubeida, après avoir subi des simulations de noyade à répétition, "avait des bulles sortant de la bouche", quasi-inconscient. Un autre a été menacé d'une perceuse. Au moins cinq ont subi des "réhydratations rectales" forcées et dans un cas de la nourriture a été administrée par voie rectale.
Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé du 11-Septembre, ingérait et inspirait tellement d'eau pendant ses séances de "waterboarding" qu'il a fini "quasiment noyé".
Au total, 119 détenus ont été capturés et emprisonnés dans le cadre du programme secret de la CIA, dans des sites dits "noirs", dans d'autres pays jamais identifiés, mais qui incluent vraisemblablement la Thaïlande, l'Afghanistan, la Roumanie, la Pologne et la Lituanie. L'une de ces prisons secrètes est qualifiée de "donjon".
La simulation de noyade, contre trois détenus, n'a plus été utilisée au-delà de 2003, et le reste des techniques brutales a pris fin en décembre 2007. Barack Obama a officiellement aboli le programme à son arrivée au pouvoir en 2009.
- Bush et Cheney assument -
"A aucun moment les techniques d'interrogatoire renforcées de la CIA n'ont permis de recueillir des renseignements relatifs à des menaces imminentes, tels que des informations concernant d'hypothétiques +bombes à retardement+ dont beaucoup estimaient qu'elles justifiaient ces techniques", conclut le résumé du rapport.
Le rapport énumère aussi ce que les sénateurs considèrent être des mensonges de la CIA, non seulement au grand public mais au Congrès et la Maison Blanche, pour justifier l'efficacité du programme, notamment en affirmant que ces techniques avaient permis de "sauver des vies".
Une assertion répétée mardi par la CIA. Son directeur John Brennan a admis que l'agence avait commis des erreurs, mais assuré que cela avait permis d'empêcher d'autres attentats, et de "sauver des vies".
L'ancien président George W. Bush, son vice-président Dick Cheney et d'anciens chefs de la CIA disent assumer et ont multiplié les interventions ces derniers jours pour défendre leurs décisions.
Au Congrès, les républicains ont regretté le calendrier de la déclassification. Ils craignent que la transparence ne donne du grain à moudre aux "ennemis" de l'Amérique, et suscite des représailles, comme après les révélations sur les abus dans la prison irakienne d'Abou Ghraib en 2004.
"Nous suivons de près les réseaux sociaux", a expliqué un haut responsable de l'administration. Les bases militaires américaines dans le monde ont été placées en état d'alerte avancée.
Les démocrates soutenaient néanmoins massivement la publication, ainsi que certains républicains comme le sénateur John McCain, qui fut torturé au Vietnam par ses geôliers.
"La vérité est parfois difficile à avaler", a déclaré John McCain au Sénat. "Elle est parfois utilisée par nos ennemis pour nous blesser. Mais les Américains y ont droit".
Des associations de défense des droits de l'homme se sont félicitées du rapport, attendu depuis des années. Mais elles ont renouvelé leur appel à poursuivre pour torture les responsables du programme.
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