Lue, récitée, hurlée, ou soufflée, la poésie quitte les pages des livres pour envahir les rues, médiathèques ou boîtes de nuit branchées, proposant sa "puissante pharmacopée" à une société française en crise.
"Nous savons que la poésie est une écriture de guérison et avec elle nous travaillons à tenter de ralentir le monde", explique Olivier Comte, directeur artistique du collectif "Les Souffleurs, commando poétique", qui réunit une trentaine d'acteurs, plasticiens, auteurs, danseurs, à Aubervilliers, près de Paris.
Les Souffleurs invitent la population à s'emparer de solutions poétiques pour améliorer le vivre-ensemble ou le quotidien: ils ont ainsi convaincu les habitants d'un quartier pauvre de Beaugency dans le Loiret de confectionner des milliers de "cartes postales d'amour" et d'en "inonder" la mairie, puis d'inviter "ceux du centre" dans leur quartier pour une soirée autour de poèmes d'amour.
Les Souffleurs ont aussi monté des "commandos hurleurs" dans les rues d'Aubervilliers pour convier la population à un Conseil municipal, attirant des gens qui n'y avaient jamais mis les pieds. Leur fait de gloire est d'avoir convaincu plusieurs centaines d'habitants d'un quartier assourdi par une intense circulation de créer des "rues silencieuses".
Un matin, chaque voiture qui passait a été stoppée, puis poussée, moteur arrêté, par les habitants, dans l'épais silence réservé habituellement aux jours de neige.
- La poésie revitalisée sur Internet -
"On applique un matériau poétique" sur les blessures du monde, "c'est une pharmacopée avec principe actif puissant", professe M. Comte, jamais à court "d'idées impossibles".
Internet et les réseaux sociaux ont fortement contribué à la revitalisation du texte poétique, notamment via les haïkus, ces minuscules poèmes de deux ou trois lignes venus du Japon, très adaptés aux 140 signes de twitter.
En cette année de centenaire de la Première guerre mondiale, les haïkus écrits par les poilus dans les tranchées se sont beaucoup échangés. Au hasard, un tweet mardi: "Mes amis sont morts. Je m'en suis fait d'autres. Pardon".
"Avec internet, on se re-lie tous plus facilement", résume pour l'AFP Philippe Alcover habitant Antibes, venu écouter lundi à Montreuil le poète breton Yvon Le Men lire son recueil "En fin de droits", qui évoque ses démêlés avec Pôle emploi.
Pour M. Le Men, radié du régime d'intermittent du spectacle, la poésie --qu'il écrit et déclame depuis 40 ans-- permet de "faire entendre ce que les mots ne disent pas".
Soutenu par un comité de 1.300 personnes, dont le Nobel de littérature JMG Le Clezio, M. Le Men, qui a reçu en 2012 le prix Théophile Gauthier de l'Académie Française et a été publié par Rougerie, Gallimard ou Flammarion, a assigné Pôle emploi en justice.
"+En fin de droits+ est un texte très moderne qui parle d'une société où plus personne n'est sûr de garder ses droits", dit à l'AFP son éditeur, Bruno Doucey, qui a dû faire rééditer le livre devant son succès.
Bien sûr, la poésie est encore loin d'être classée parmi les best-sellers, malgré le succès croissant de l'opération annuelle "Le printemps des poètes", en mars dans toute la France, et de deux festivals, à Lodève et Sète.
- En boîte de nuit ou en médiathèque -
Dans la vénérable librairie Gallimard place du Palais Royal à Paris, le rayon poésie trône au centre du magasin. "Nous avons des jeunes maintenant qui achètent de la poésie" note une vendeuse, "probablement en raison du succès des lectures publiques faites par des acteurs comme ceux de la Comédie française".
Pour Bruno Doucey, qui a fait le pari de créer sa maison d'édition de poésie en 2010, après avoir été licencié de chez Seghers par le géant Editis, "le vent à tourné".
"Dans les années 70, la poésie était confisquée par les intellectuels, en 80-90, on a vu un renouveau de l'oralité avec les conteurs et le slam. Les années 2000 ont été les années philo, et les années 2010 sont incontestablement les années poésie", dit-il.
Pour ce "troubadour", la poésie se partage aussi bien lors de soirées ultra select, comme au printemps dans le night-club "Silencio" ouvert par le cinéaste américain David Lynch à Paris, que dans des médiathèques, ou sur des places de marché, avec des "brigades d'intervention poétiques".
A force, nous finissons par "dilater" le marché, s'enthousiasme l'éditeur, qui cite aussi la vogue des "cartoneras" -poèmes imprimés sur des cartons de récupération- venue d'un autre pays en grave crise financière, l'Argentine.
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