Du haut de ses 23 ans, Ibrahim Boudina, soupçonné d'avoir préparé un attentat, incarne la grande crainte des services antiterroristes: le retour de Syrie d'hommes aguerris et animés de la volonté de porter le jihad en France.
Les enquêteurs estiment que quatre projets d'attaques par des jihadistes revenus de Syrie ont été déjoués. Un employé de pompes funèbres du Nord a été arrêté en octobre 2013, deux mois après son retour; un vétéran de l'organisation Etat islamique (EI), cueilli en juillet, est soupçonné d'avoir voulu s'en prendre aux chiites; et les policiers pensent que le tireur du Musée juif de Bruxelles, Mehdi Nemmouche, intercepté au printemps, entendait récidiver en France.
Et puis il y a Ibrahim Boudina, un Cannois revenu début 2014, qui nie avoir jamais eu de telles intentions et être lié aux explosifs retrouvés à Mandelieu-La-Napoule le 17 février. Boudina n'est alors pas un inconnu: il est dans le viseur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) depuis près d'un an et demi.
Le 26 septembre 2012, il annonce à sa mère qu'il part en vacances avec un ami d'enfance, Abdelkader Tliba. Ils s'envolent pour la Syrie, via la Turquie. Ce départ leur permet d'échapper au démantèlement de la cellule dite de Cannes-Torcy.
Mais ils restent surveillés, via leurs contacts téléphoniques et les réseaux sociaux. Le 3 janvier, l'alerte est donnée. Boudina est sur le retour: les Grecs l'ont contrôlé alors qu'il prenait un taxi pour Alexandropolis. Il embarque ensuite pour l'Italie où sa trace se perd tandis que Tliba y est arrêté.
- "Pistolet de prostituée" -
Le 23 janvier, Boudina est repéré dans un hôtel niçois bon marché. Il s'installe chez son père à Mandelieu-La-Napoule où il est interpellé à l'issue d'une tentative de fuite, le 11 février. Le 17, dans les parties communes, les enquêteurs trouvent, près de sa tablette, un pistolet, deux chargeurs garnis et trois canettes bourrées d'explosif, l'une sertie de clous. Boudina assure que les engins ne lui appartiennent pas, non plus que l'arme de poing à la crosse nacrée, "un pistolet de prostituée", commente-t-il selon une source proche du dossier.
Pourquoi inquiète-t-il les services, qui surveillent des centaines de candidats au jihad? Lors de leur départ en 2012, Boudina et Tliba confient un testament à l'ami qui les conduit à l'aéroport. En garde à vue dans le dossier Cannes-Torcy, celui-ci dresse, selon un proche de l'enquête, le portrait d'un Boudina antisémite, qui "pourrait faire du mal à quelqu'un qui va contre l'islam" ou expliquant qu'à défaut de combattre en Syrie, on pouvait "faire un truc ici".
Troisième d'une fratrie de quatre, fils d'un plombier et d'une femme de ménage séparés, Boudina n'a pas un profil de délinquant à la Mohamed Merah. Il a arrêté ses études en plein BEP électronique, s'est réorienté en CAP cuisine avant de renoncer, rebuté par des horaires "trop lourds" et une "ambiance en cuisine quasiment militaire". Il enchaîne les petits boulots - jardinier, plagiste, chantiers, postier -, revend des vêtements contrefaits.
Le déclic aurait été la disparition d'un ami, en 2009: "Ibrahim, qui n'était pas religieux, l'est devenu, à ce moment-là", dit un proche. Le piercing au nez disparaît. Il fréquente une mosquée de Cannes, en compagnie d'amis de collège dont les convictions radicales suscitent des tensions avec les fidèles. D'autant qu'arrivent de jeunes salafistes venus de Torcy, en Seine-et-Marne.
- "Bande de potes armés" -
A en croire un membre du groupe, Boudina dispose d'une certaine aura: "Nous écoutions tous Ibrahim car il a plus de savoir", glisse-t-il aux enquêteurs. Un voyage en Egypte début 2012 aurait accéléré sa radicalisation qui devait le conduire en Syrie pour "combattre et jihader", explique ce proche.
Une fois là-bas, Boudina décrit à son entourage un périple humanitaire. Il raconte être fossoyeur, travailler dans un hôpital. Pour son père, il fait "un peu de business", achète et revend des voitures.
Mais les enquêteurs ne croient pas à la couverture humanitaire, argument classique des jihadistes. Parfois, Boudina se laisse aller, raconte à sa mère la mort d'un adolescent dont le sang se serait "transformé en musc", lui demande de ne pas s'inquiéter: "Même si je meurs, inch'allah, je suis martyr". A un ami, il vante sa "grande bande de potes armés".
Sur place, Boudina semble d'abord perdu, s'inquiète de la procédure Cannes-Torcy, réclame de l'argent à ses proches. Sa solitude perce quand il leur demande de lui rendre visite. Mais il reprend du poil de la bête, dénonce la tiédeur religieuse de son père, lui reproche de "travailler pour les kouffars" (mécréants). A ses yeux, l'islam est "une religion d'hommes forts", "pas une religion de soumis".
L'épanouissement religieux ne semble pas son seul motif de satisfaction. Il raconte sa "petite vie" au "Cham" (nom antique de la Syrie), avec sa "petite maison" et sa "petite moto".
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