La Camargue, Picasso et des nus sensuels : amoureux du sud, Lucien Clergue, décédé samedi, s'est battu pour faire reconnaître la photo comme un art, créant à Arles le plus grand festival d'Europe, fréquenté par des milliers d'amateurs.
"J'ai fait mes premières photos avec un appareil en bakélite qui était un jouet", a raconté ce fils d'épiciers arlésiens. Plus d'un demi-siècle plus tard, il fait entrer la photographie sous la coupole à l'Académie des Beaux-Arts.
Un manière d'hommage rendu à son oeuvre, mais aussi à sa vocation de défenseur du 8e art, qu'il a contribué à faire reconnaître en créant en 1969 les Rencontres de la photographie d'Arles. La manifestation a attiré cet été quelque 83.000 visiteurs.
Lucien Clergue est pourtant venu à la photographie un peu par hasard. Il apprend d'abord le violon, mais n'a pas les moyens de fréquenter le conservatoire.
Il commence à travailler à l'usine. "La photo, je la pratiquais entre midi et 2 heures, par passion", a-t-il expliqué de sa voix rocailleuse à l'accent provençal.
Survient alors une de ces rencontres exceptionnelles qui vont marquer sa vie d'homme et d'artiste. "Un jour de 1953, je suis allé aux Arènes d'Arles où Picasso venait d'assister à une corrida et je l'ai interpellé pour lui montrer mes photos. C'étaient des recherches, avec des flous, des bougés. Il m'a encouragé à continuer".
Cette même année, dans un magazine, il découvre avec enthousiasme un nu sculptural du photographe américain Edward Weston. C'est désormais dans cette veine que s'inscrira son travail sur le corps féminin.
- Cocteau et Saint-John Perse -
En 1955, il montre à Picasso ses derniers travaux, des photos de flamands morts dans les sables. "Il m'a accueilli à bras ouverts. J'ai eu un choc". Il va devenir un ami de la famille, jusqu'à la mort du peintre en 1973. "Picasso, je lui dois tout".
Autre rencontre, celle en 1955 du guitariste Manitas de Plata en Camargue: il l'aide à faire son premier disque, devient son manager pendant un an, puis son directeur artistique.
En 1960, Clergue quitte enfin son usine pour se consacrer entièrement à son art. Ruines, enfants costumés en saltimbanques, corridas, gitans, images de Picasso et de Jean Cocteau, nus féminins dans les vagues, paysages camarguais tels sont les thèmes récurrents de son oeuvre.
Le photographe sera soutenu par Jean Cocteau qui préface l'ouvrage "Corps mémorables" (Seghers) où les photos de nus accompagnent des poèmes d'Eluard. Il collabore aussi avec le poète Saint-John Perse pour le livre "Genèse" avec des extraits du poème "Amers".
Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages et de plus de 800.000 photographies.
Dès 1961, Clergue expose au MOMA (Museum of Modern Art) de New York et découvre qu'outre-Atlantique, la photographie est reconnue par les musées.
"Quand on a créé les Rencontres, il ne se passait rien en photo, a-t-il rappelé, il n'y avait pas d'exposition de photographies à Paris, sauf une annuelle dans les couloirs de la Bibliothèque nationale de France. Les photos étaient punaisées sur des panneaux de bois ! C'était ouvert aux amateurs comme aux professionnels", a-t-il raconté.
Il aide à la création en 1965 d'un département de la photographie, le premier en France, au sein du musée Réattu d'Arles, qui lui consacre depuis cet été une rétrospective (jusqu'au 4 janvier). Pour constituer le fonds du musée, Clergue n'hésite pas à demander aux photographes célèbres de donner des oeuvres.
Il est également l'un des initiateurs de l'Ecole nationale supérieure de la photographie, créée en 1982 dans sa ville natale où il a passé l'essentiel de sa vie.
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