La Cour européenne des droits de l'Homme doit se prononcer jeudi sur la peine la plus lourde du code pénal français, la réclusion à perpétuité incompressible, contestée devant les juges de Strasbourg par le tueur Pierre Bodein.
Selon ce criminel multirécidiviste, surnommé "Pierrot le fou", cette sentence instaurée en 1994 viole la Convention européenne des droits de l'Homme, qui interdit les "traitements inhumains ou dégradants".
Pierre Bodein, 66 ans, avait été le premier à être condamné à cette peine, en 2007, pour trois meurtres particulièrement violents, dont celui d'une enfant de 10 ans. Depuis, elle n'a été prononcée que pour trois autres criminels, dont le tueur en série Michel Fourniret.
Comme la période de sûreté, dont peut être assortie la réclusion criminelle à perpétuité, la peine incompressible écarte les aménagements qui permettraient d'écourter l'incarcération de condamnés jugés dangereux.
Mais une période de sûreté ne peut pas dépasser 22 ans (30 ans pour certains meurtres d'enfants), alors qu'il n'y a aucune limite pour la peine incompressible, qualifiée pour cela de "perpétuité réelle".
C'est cette absence de perspective de sortir un jour de prison que pointe Bodein dans sa requête.
En 2013, la Cour avait donné gain de cause à des condamnés britanniques qui remettaient en cause les peines incompressibles pratiquées au Royaume-Uni, estimant qu'elles étaient effectivement assimilables à un "traitement dégradant".
Mais cela ne signifie pas qu'il en sera de même pour Bodein. La CEDH avait en effet précisé qu'elle acceptait les peines à perpétuité, à condition qu'elles laissent une "possibilité d'élargissement" et une "possibilité de réexamen".
La France fait justement valoir qu'elle a maintenu des "mécanismes juridiques" permettant de remettre en cause une peine incompressible "sous certaines conditions".
Un condamné à la perpétuité réelle peut ainsi solliciter une libération conditionnelle, dès lors qu'il a subi une incarcération d'au moins 30 ans. Et un tribunal d'application des peines peut la lui accorder, sous réserve d'une expertise psychiatrique par un collège d'experts.
- Des "peines radicales" -
Si les juges de Strasbourg, dont la décision est attendue en milieu de matinée, devaient juger cette lueur d'espoir insuffisante, cela n'ouvrirait pas forcément la voie à un nouveau procès pour Bodein.
Sa condamnation est devenu définitive en 2010, après le rejet d'un pourvoi en cassation. Si la France est condamnée, elle devrait simplement lui permettre "d'obtenir un réexamen de la pertinence de son maintien en détention par une juridiction chargée de l'exécution des peines" et "pas forcément immédiatement", estime Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (Credof).
Une condamnation de la France sur ce point serait quoi qu'il en soit "surprenante" pour ce spécialiste de la CEDH. Et cet avis est partagé par le magistrat et essayiste Denis Salas, qui souhaiterait pourtant que les peines incompressibles soient remises en cause.
"Ce sont des peines radicales, qui sont en quelque sorte des substituts à la peine de mort", estime M. Salas, auteur de "Le Courage de juger" (Bayard, 2014). "La dangerosité d'un condamné doit pouvoir être réévaluée pendant la peine, pas au bout de 30 ans. Quel sens a la réinsertion après une telle durée?", interroge-t-il.
Outre la question de la peine incompressible, la CEDH doit également se prononcer jeudi sur un autre grief de "Pierrot le fou": l'absence de motivation claire selon lui de sa condamnation devant les assises.
C'est avec cet argument que Maurice Agnelet avait obtenu une condamnation de la France en 2013 pour procès "inéquitable", lui permettant d'avoir un nouveau procès pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux.
Si Bodein obtenait une décision similaire, la possibilité d'un nouveau procès ne serait alors pas à exclure.
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