Un symbole de la perestroïka est en danger : l'organisation russe Memorial, gardienne depuis un quart de siècle de la mémoire des victimes du stalinisme et combattante infatigable pour les droits de l'Homme en Russie, fait face à une menace de dissolution.
L'organisation, qui recense les crimes commis au nom de l'URSS, un travail souvent mal perçu dans un pays où Staline est encore révéré par certains et où l'expression de critiques vis-à-vis de l'URSS est souvent jugée non patriotique, est dans le collimateur de la justice russe.
La Cour constitutionnelle russe doit trancher jeudi dans une décision historique sur la légalité de la liquidation, demandée par le ministère de la Justice.
En cause: la structure "en parapluie" de Memorial, qui lui permet d'avoir sous sa tutelle une cinquantaine de groupes de défense des droits de l'Homme.
Si la Cour reconnaissait la démarche conforme à la Constitution, elle pourrait entraîner la dissolution de l'organisation sous sa forme actuelle, obligeant ces différents groupes à s'enregistrer à nouveau en tant qu'ONG auprès de l?État russe, une procédure complexe et fastidieuse.
Le ministère de la Justice a toutefois indiqué lundi qu'il demanderait à la Cour de repousser l'examen du dossier, précisant que son but n'était pas la fermeture de Memorial mais juste sa conformité à la loi.
"Les autorités veulent que tout fonctionne en Russie du haut vers le bas. Et on comprend bien pourquoi : une organisation verticale devient très facile à contrôler", résume pour l'AFP la directrice exécutive de Memorial Elena Jemkova.
"Memorial a subi tout un tas de vérifications et tout était en ordre. Nous avons existé pendant plus de 20 ans et tout à coup, le ministère de la Justice nous dit +non, vous ne fonctionnez pas correctement+", plaide-t-elle.
- 'Agent de l'étranger' -
Fondée en 1989 par d'anciens dissidents, dont le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, pour préserver la mémoire des victimes des répressions soviétiques, Memorial a fait sien le combat contre l'arbitraire en Russie, payant parfois ce combat au prix du sang, comme en 2009 lorsque sa représentante en Tchétchénie, Natalia Estemirova, est assassinée.
Si la perestroïka et les années Eltsine ont été un âge d'or pour Memorial. L'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir fin 1999 a changé la donne.
En décembre 2008, les bureaux de l'ONG avaient été fouillés par la police qui était repartie avec des documents sur les purges staliniennes. Une bataille judiciaire avait été nécessaire pour que ces pièces, rassemblées pendant près de 20 ans, soit rendues.
Et en juillet, Memorial avait déjà été forcée par la justice à s'enregistrer, avec quatre autres ONG, en tant qu'"agents de l'étranger", une dénomination datant de l'époque soviétique qui qualifie les dissidents accusés d'être à la solde de l'Occident.
De plus en plus employé par les autorités, ce terme, très péjoratif en Russie, sert depuis l'année dernière à désigner les organisations bénéficiant d'un financement en provenance de l'étranger et ayant "une activité politique".
Refusant de se qualifier ainsi, le centre de lutte contre les discriminations de Memorial à Saint-Pétersbourg, qui défendait notamment les droits des Tsiganes, a dû se résoudre à fermer.
En Europe, les poursuites engagées contre la plus grande ONG russe ont suscité l'inquiétude. Le président du Parlement européen Martin Schulz a dénoncé une décision "inacceptable et probablement dénuée de justification juridique claire".
La présidente du Conseil des Droits de l'Homme auprès du Kremlin Ella Pamfilova a également protesté auprès de Vladimir Poutine, lui demandant de permettre à Memorial de se mettre en conformité avec la loi compte tenu de son "importance sociale" et de sa "renommée".
- 'Caractère d'exemple' -
La pression du gouvernement russe contre les rares organisations et médias indépendants s'est renforcée ces dernières années, avec en parallèle un nouveau tour de vis des autorités sur Internet visant notamment les blogs et les sites d'information.
"La politique des autorités russes envers les ONG est la suivante: les ONG sont nécessaires pour régler les problèmes du pays, mais elles ne doivent pas se mêler de politique ou être sous influence de l'étranger. Jusqu'ici, cette politique a été efficace", résume Konstantin Kalatchev, directeur du groupe d'expertise politique basé à Moscou.
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