Les révélations sur le système d'évasion fiscale massif mis en place au Luxembourg au profit des multinationales fragilisent son ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker au moment où il prend la tête d'une Commission européenne voulue très politique et appelée à rapprocher l'Europe des citoyens.
M. Juncker, qui a annulé au dernier moment sa participation à une conférence à Bruxelles jeudi après-midi, a été pendant 18 ans, entre 1995 et 2013, Premier ministre du Luxembourg, considéré comme un des principaux paradis fiscaux dans le monde.
C'est pendant cette période, entre 2002 et 2010, que selon une enquête publiée jeudi par 40 médias internationaux, le Grand-Duché a passé des accords fiscaux avec 340 multinationales, dont Apple, Amazon, Ikea, Pepsi, Heinz, Verizon ou AIG, afin de minimiser leurs impôts.
L'enquête, qui a duré six mois et s'appuie sur 28.000 pages de documents obtenus par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), porte sur la pratique des accords fiscaux anticipés, ou "tax ruling".
Cette pratique est légale et ne concerne pas que le Luxembourg. Elle permet à une entreprise de demander à l'avance comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale d'un pays, et d'obtenir certaines garanties juridiques. Cela influence la répartition du bénéfice imposable d'une multinationale entre ses filiales situées dans des pays différents, ce qui lui permet de faire de l'optimisation fiscale.
Le fait que le Luxembourg soit un paradis fiscal était "un secret de Polichinelle", mais le pays "avait réussi à échapper au radar, en partie parce que ses responsables politiques et ses banquiers le niaient depuis des années", souligne Ronen Palan, professeur de politique internationale à la City University de Londres.
Les autorités luxembourgeoises se sont retranchées derrière la légalité de leurs pratiques. Lors d'une conférence de presse jeudi matin, le Premier ministre du Grand-Duché Xavier Bettel a assuré que le ruling était "conforme aux lois internationales". Il est "compatible avec les standards communautaires et ceux de l'OCDE", a renchéri son ministre des Finances Pierre Gramegna.
- Junker "serein" -
Cette polémique pourrait compliquer la tâche de M. Juncker en tant que nouveau patron de la Commission européenne alors même qu'il a promis de renforcer cette institution en la rendant "plus politique".
Entré en fonction le 1er novembre, il a immédiatement cherché à affirmer son rôle face aux Etats de l'UE, en assurant qu'il n'accepterait "pas les critiques injustifiées" et en s'en prenant nommément aux Premiers ministres britannique David Cameron et italien Matteo Renzi. "Je ne suis pas un type qui tremble devant les Premiers ministres", a-t-il dit.
Dès les révélations du "LuxLeaks", M. Juncker a été accusé par le groupe des Verts au Parlement européen de "conflit d'intérêt". Les services de la Commission chargés de la concurrence sont en effet en train d'enquêter pour savoir si le Luxembourg a accordé, à travers la pratique du "ruling", des "subventions déguisées" au géant américain d'internet Amazon et au groupe italien Fiat.
L'exécutif européen est prêt à sanctionner le Luxembourg, s'il y a lieu, a affirmé jeudi à l'AFP le porte-parole de M. Juncker, Margaritis Schinas.
En réalité, si des sanctions sont appliquées dans ces affaires, elles viseront les entreprises qui seront obligées de rembourser à l'Etat luxembourgeois des aides d'Etat indues, et non les autres pays qui ont pu pâtir d'un manque à gagner fiscal.
Au cours d'un point de presse où il a subi un feu roulant de questions, M. Schinas s'est efforcé d'éloigner M. Juncker de cette affaire en la réduisant l'affaire à une simple question de concurrence.
"On est en terrain connu, celui de la législation sur les aides d'Etat", a-t-il martelé, rappelant à de nombreuses reprises que c'était la commissaire chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, et elle seule, qui était chargée du dossier.
Quant à M. Juncker, il est "serein", a-t-il assuré, affirmant la détermination du nouveau chef de l'exécutif européen à renforcer l'harmonisation fiscale européenne.
Le chef du groupe socialiste au Parlement, Gianni Pittella, a jugé que les arrangements de ce type entre Etats et multinationales n'étaient "plus acceptables". Quant au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, il a jugé que le Luxembourg avait "beaucoup à faire" pour améliorer ses pratiques fiscales.
Mercredi, avant les révélations de "LuxLeaks", M. Gramegna avait affirmé qu'il n'était pas question de renoncer au ruling, mais reconnu qu'il fallait en clarifier certaines règles et légitimer leur pratique dans une loi.
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