Le dialogue a toujours été difficile entre les deux Corées, mais des universitaires du Nord et du Sud actuellement réunis à Pyongyang oeuvrent de concert pour leur faire parler la même langue. Au pied de la lettre.
Cela fait 25 ans que des linguistes travaillent à la rédaction d'un dictionnaire unifié. Cette entreprise herculéenne semble enfin toucher au but.
La semaine dernière, les experts sud-coréens membres du comité de rédaction se sont rendus au Nord pour la première fois en cinq ans. "C'est un travail important", résume son directeur éditorial, Han Young-Un.
A l'en croire, la barrière de la langue constitue un obstacle à la réunification comparable au rideau de fer idéologique et militaire qui sépare les deux pays depuis plus de six décennies.
Interrogé par l'AFP avant son départ pour le Nord, Han indique que le problème est criant dans les jargons professionnels, la médecine et le droit en particulier.
Ces différences sont "si marquées que des architectes des deux côtés auraient probablement du mal à construire une maison ensemble", avance-t-il.
A la fin de l'occupation de la péninsule par les Japonais (1910-45) pendant laquelle l'usage du coréen fut interdit, le Nord communiste et le Sud capitaliste ont beaucoup investi dans la ré-alphabétisation, mais sans aucune concertation et les deux langues se sont progressivement éloignées.
Au point que les mêmes mots peuvent revêtir des sens diamètralement opposés, comme "agassi" qui signifie "jeune femme" au Sud, et "esclave d'une société féodale" au Nord.
Un mot sur trois utilisé par l'homme de la rue à Pyongyang et Séoul serait ainsi inintelligible selon que l'on se trouve d'un bord ou l'autre de la frontière, deux sur trois dans le milieu des affaires.
"Pour l'heure, il n'y a pas de problème de communication de base mais le fossé linguistique deviendra trop important si les différences demeurent", prévient Han.
L'idée de rassembler la langue dans un dictionnaire commun avait été suggérée par un militant sud-coréen de la réunification, Moon Ik-Hwan, lors d'une rencontre avec Kim Il-Sung, fondateur du régime nord-coréen, à Pyongyang en 1989.
- "Un vocabulaire chargé idéologiquement" -
Kim avait donné son accord mais l'initiative avait capoté quand Moon fut jeté en prison à son retour de Corée du Nord pour séjour illégal dans ce pays. Moon est mort en 1994 et le projet a dormi jusqu'en 2004. Il fut alors relancé à la faveur d'une embellie des relations coréennes dans le sillage du sommet historique entre le président du Sud, Kim Dae-Jung, et le numéro un du Nord, Kim Jong-Il, en 2000.
"Comme son père Kim Il-Sung, Kim Jong-Il tenait à ce projet qu'il considérait comme un instrument de préservation du patrimoine culturel coréen", analyse Kim Han-Mook, responsable du chantier du dictionnaire côté sud-coréen.
Sur un objectif initial de 330.000 entrées, le comité a pour l'instant arrêté 55.000 définitions. La date butoir de 2019 peut être respectée si -- et c'est un gros "si" -- les politiques laissent travailler les universitaires, tributaires des multiples hoquets de la diplomatie intercoréenne, souligne Han Young-Un.
Le comité a tenu 20 réunions les cinq premières années mais en 2010 les relations bilatérales ont été gelées après un regain des tensions militaires.
La 21ème réunion s'est tenue cette année en Chine et la 22ème en cours à Pyongyang est la première à avoir lieu en Corée du Nord depuis 2009.
"Evidemment nous sommes dépendants de ces crises mais ce qui compte c'est que les deux côtés reconnaissent l'importance de ce travail", rappelle Kim Han-Mook. Il admet que ses homologues du Nord partagent une "passion" pour la langue qui dépasse les enjeux géopolitiques.
Les experts mettent d'ailleurs un point d'honneur à exclure de leurs entretiens "le vocabulaire trop chargé idéologiquement". En cas d'impasse, les deux acceptions sont entérinées, explique Han Young-Un.
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