Pierre Bonard n’en est pas à sa première visite. Maître-conférencier pour l’office de tourisme de Caen, l’homme habite rue Froide "depuis de longues années", et connait à la perfection tous les recoins de cette allée biscornue. Sa grand-mère était "du quartier", sa mère habitait au 54. La rue, elle, n’a pas beaucoup changé à travers les âges : c’est l’un des rares témoignages d’un vieux Caen épargné par les affres de l’Histoire.
Même son nom, fait unique dans la ville, est resté identique depuis 1153, et évoquait les forts vents qui balayaient la rue. Sa structure non plus n’a pas bougé : contrairement à nombre de ses semblables et malgré des années 70 menaçantes, elle a conservé sa largeur intacte comme les courbes de son tracé, dont l’urbanisme actuel tend à se débarrasser.
Les cours offrent un charmant voyage dans le temps
Aujourd’hui, la rue Froide figure sur toutes les cartes et les guides touristiques de Caen parmi les incontournables : elle aligne des bâtiments représentant chaque courant architectural de 1450 à 1800, et voit se succéder vestiges historiques, manoirs des XVe et XVIe siècles et anciennes cours de riches bourgeois. "On en a compté jusqu’à 36 dans la rue, mais seules 4 sont encore visitables", relève notre guide Pierre Bonard. "Il n’y a pas si longtemps, toutes les cours étaient ouvertes", se souvient aussi Isabelle Vallée, une couturière habitant le quartier depuis 17 ans. "La meilleure méthode pour pouvoir y pénétrer, c’est de suivre le facteur", plaisante un autre riverain.
On peut aujourd’hui accéder à la Cour des imprimeurs depuis la place Bouchard, tandis qu'elle faisait auparavant partie d’un ensemble de maisons, rasées par la guerre. Au numéro 10 de la rue, une veine étroite se fraie un chemin entre une maison à pans de bois du XVIe siècle, dont il existe peu de versions à Caen, et de jolies bâtisses fleuries à la pierre de taille lumineuse.
Il faut pousser la porte cochère du numéro 41 pour un charmant voyage dans le temps. Il est aisé d’imaginer les propriétaires de ce manoir du XVIe siècle (restauré au XVIIe) se servir à ce puits avant d’emprunter l’escalier en colimaçon de cette belle tour octogonale pour rejoindre leur chambre. Au 43, dans cette cour où la verdure reprend ses droits autour des pavés, il faut lever la tête pour observer les façades joliment disparates. Ici, une lucarne datée de 1646, là, une double accolade typique de la moitié du XVe siècle...
L'artisanat en maître
On passait à cheval sous l’arche de la grande Cour des Sens, sise aux numéros 16,18 et 20. Là où une seule famille résidait à l’époque, on compte maintenant huit propriétaires. Les pavés violets de Feuguerolles ou la reconstitution d’enseigne du poissonnier, présent au XVIIe siècle, sont autant de détails qui rappellent le passé faste de la rue Froide. Au fond de cette cour, accessible par un fin passage, un luthier officie depuis 1976.
Comme une passerelle entre deux époques, la rue Froide conserve son ambiance authentique, cause ou conséquence de la présence de nombreux commerces artisanaux. Ils sont les descendants des meuniers et forgerons, remplacés ensuite par les libraires et les imprimeurs, et qui avaient pignon sur rue il y a plusieurs siècles. On compte aujourd’hui aussi un cordonnier traditionnel, un sellier, un bouquiniste... "Comme un village dans la ville".
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