Il a réuni la Normandie avec vingt ans d'avance. Le vendredi 20 janvier 1995, le pont de Normandie est inauguré par le Premier ministre de l'époque, Edouard Balladur. Deux jours plus tard, une course pédestre réunit des milliers de personnes sur l'ouvrage, "dans une tempête incroyable", se souvient Pierre Michel, élu référent des ponts au sein de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Seine Estuaire. C'est aussi sous une météo bien normande que le tout premier automobiliste franchit le pont de Normandie, à 13 heures, le 26 janvier. Il n'est plus, aujourd'hui, le plus long pont à haubans du monde, mais la particularité de l'ouvrage est ailleurs. "La CCI est la seule en France à avoir construit et exploité deux ponts", souligne Claire Grivel, directrice des concessions des ponts de Normandie et de Tancarville (inauguré en 1959). "Dès les années soixante-dix, des entrepreneurs de l'estuaire constatent que Tancarville commence à saturer et imaginent un deuxième pont pour drainer un axe nord-sud, poursuit la directrice, l'originalité a été d'adosser le nouveau projet à la concession déjà existante pour Tancarville."
Le pont de Normandie en quelques chiffres.
Tout l'éclairage revu en 2025
A l'époque, le principe est déjà établi : les péages rembourseront la dette liée à la construction et l'entretien. "Le pont a permis de réduire de moitié le temps pour aller à Honfleur depuis Le Havre", poursuit la directrice. Au nord, l'économie s'est depuis développée autour de l'industrie, au sud autour du tourisme. "Au moment de l'inauguration, il n'y avait pas encore d'autoroute… rappelle Pierre Michel, et beaucoup moins d'entrepôts logistiques."
Entre 4,5 et 6M€ sont nécessaires chaque année à l'entretien courant. A cela s'ajoutent les gros travaux liés à l'usure, comme la réfection de l'étanchéité de la chaussée qui s'est terminée en octobre 2024 (12M€). En 2025, six des 184 haubans, les câbles qui permettent de suspendre le tablier, seront remplacés. "Ils avaient vocation, au démarrage, à avoir une travée centrale plus large, à éviter d'implanter des pylônes dans la Seine et à avoir une hauteur sous tablier qui permette de faire passer des conteneurs sur la Seine."
La solidité de chacun des haubans est vérifiée via des écoutes acoustiques, notamment. "Chaque hauban est inspecté tous les quatre ans, mais si l'un commence à 'chanter', il est contrôlé par anticipation", précise Claire Grivel. Des capteurs permettent de vérifier la dilatation du tablier, la partie sur laquelle les véhicules roulent, soumise au froid, à la chaleur et… au sel de mer. "L'usure de tous les éléments structurels est vérifiée dans l'objectif absolu de maintenir la circulation."
En 2025, l'éclairage passera en LED, un système "plus efficace, plus économique et moins perturbant pour la faune sauvage" de la réserve naturelle de l'estuaire de la Seine. Trente ans après l'inauguration, l'enjeu environnemental est désormais indissociable de tout chantier : récupération de résidus, bassins de rétention ou encore recyclage (30% de la matière a été réutilisée lors des derniers travaux de chaussée). "C'est une évolution, et c'est tant mieux !"
Receveurs, électriciens, patrouilleurs...
Pour faire fonctionner le pont, différents métiers sont nécessaires.
Ils sont une soixantaine à travailler sur les ponts de Tancarville et de Normandie.
Les patrouilleurs
Ces cinq techniciens ont plusieurs missions : baliser la chaussée lors d'un incident, dégager les objets tombés sur les voies, etc. Ils sécurisent les entreprises chargées de la maintenance du pont et réalisent des petits travaux de bâtiment ou d'espaces verts.
Les électriciens
Ces cinq techniciens spécialisés sont chargés d'effectuer des réparations sur les systèmes pneumatiques ou informatiques du pont, ou encore sur les éclairages, les panneaux à messages variables ou le groupe électrogène.
Deux assistants et un responsable appuient ces métiers techniques.
Les receveurs et inspecteurs
La terminologie de ce métier remonte au temps où l'on percevait encore les péages en monnaie. L'automatisation s'est faite à partir de 2010. Aujourd'hui, deux receveurs sont encore présents à proximité des voies pour dépanner les usagers à distance ou physiquement, si c'est nécessaire. Les 34 receveurs (sur les deux ponts) sont eux-mêmes assistés par dix inspecteurs (voir ci-dessus).
Les assistants
Ils sont en charge de la gestion des abonnements et des relations clients, le contrôle des transactions de péage, les commandes ou les plannings.
Une surveillance 24h/24 et 365 jours par an : plongée dans le tour de contrôle du Pont de Normandie
A l'occasion des 30 ans du pont de Normandie, plongée dans la "tour de contrôle" de l'ouvrage : caméras, anémomètres, capteurs de chaussée, assistance téléphonique… Différents équipements permettent d'assurer la sécurité en temps réel.
C'est, en quelque sorte, la tour de contrôle du pont de Normandie. Le bâtiment du service exploitation offre une vue plongeante sur les dix voies de péage. Derrière les écrans, il y a du monde 24h/24, tous les jours de l'année. Jean-Pierre Fagot, 28 ans de maison, est l'un des cinq inspecteurs de péage qui y travaillent. Il supervise les deux à trois receveurs chargés d'assister les clients aux barrières de péage. S'ils ne sont plus en contact direct avec la clientèle, ces receveurs sont bel et bien présents dans des cabines au niveau des voies, pour une assistance téléphonique voire physique.
Une trentaine de caméras
Mais l'inspecteur de péage a aussi un rôle de veille. "On peut prendre la main sur la trentaine de caméras présentes sur le viaduc du grand canal et le pont de Normandie, détaille Jean-Pierre Fagot, pour vérifier par exemple la nature d'un objet qu'on nous a signalé sur la chaussée." En trente ans, la technologie a évidemment évolué pour apporter davantage de précision. "D'ici, on est en mesure de déclencher des interventions de nos patrouilleurs voire d'un dépanneur, des pompiers ou des forces de l'ordre", détaille Philippe Behuet, chef d'exploitation des ponts de Tancarville et de Normandie. C'est aussi depuis cet espace que sont envoyés les messages sur les panneaux lumineux. "Pas question de vous souhaiter votre anniversaire lors de votre passage, plaisante Philippe Behuet, ce sont des messages normés de trois lignes et 18 caractères par ligne." Au total, 90 textes différents peuvent être affichés sur ces panneaux à message variable, dans un sens ou dans l'autre, voire les deux. "Cela permet d'informer rapidement les usagers sur la météo, les accidents, les objets sur la chaussée, la circulation…", détaille Jean-Pierre Fagot. Quelques secondes suffisent pour inscrire le message.
L'inspecteur garde aussi un œil sur la météo, via un ordinateur dédié. Des anémomètres permettent de surveiller en temps réel la force du vent, ainsi qu'une rose des vents. "Un vent dans l'axe du pont est peu contraignant, contrairement à un vent de travers, vent d'ouest ou de nord ouest, assez fréquent dans notre estuaire", note Philippe Behuet. En cas de danger, un filtrage de certains véhicules - notamment les poids lourds - peut être décidé, en lien avec la préfecture. Pour le froid, des capteurs permettent de surveiller la température de l'air ambiant et celle de la chaussée. "On ne met surtout pas de sel sur le tablier, ça rouille !", rappelle le chef d'exploitation. Ce sont des produits déverglaçants similaires à ceux utilisés dans l'aviation qui sont employés. "Les outils dont nous disposons permettent de voir en temps réel leur efficacité." Lors des alertes météo importantes, un prestataire spécialiste de la viabilité hivernale est par ailleurs mis en alerte avec, à disposition sur place, des lits et une cuisine.
Receveurs et inspecteurs travaillent en trois huit. "La nuit, il y a moins de circulation mais il faut toujours rester vigilant", affirme Jean-Pierre Fagot. Piéton solitaire, voiture en panne… Rien ne doit échapper à cette tour de contrôle qui voit chaque jour le soleil se lever au-dessus des 184 haubans.
"Nous recevons des scientifiques du monde entier pour échanger sur le pont"
Claire Grivel est la directrice des concessions des ponts de Normandie et Tancarville.
Trente ans après, le pont de Normandie
est-il encore un modèle ?
"Il suscite toujours beaucoup d'intérêt car, à l'époque de son inauguration en 1995, on doublait la dimension de la travée centrale, avec 856m. Il a très vite été dépassé par le pont de Tatara au Japon, mais cela reste une technologie majeure qui a permis de franchir des estuaires ou des bras de mer, et de désenclaver des îles à travers le monde. Aujourd'hui encore, nous recevons régulièrement des délégations étrangères et des scientifiques du monde entier pour échanger sur l'entretien de ce type d'ouvrage, la maintenance, l'évolution de la corrosion, les techniques de surveillance, etc."
Les comportements des usagers
évoluent-ils ?
"Ces dernières années, on déplore une perte d'attention au volant avec l'apparition du téléphone portable ou de la télévision dans les cabines des poids lourds. On sait que l'ouvrage est emblématique mais la prise de photo peut se faire à pied, en se garant sur une aire ! Et surtout, il faut absolument ralentir à l'approche de travaux…"
Combien d'usagers empruntent le pont chaque jour ?
"En 2023, on dénombrait 8 millions de véhicules, avec en moyenne 22 000 de véhicules par jour mais des pics jusqu'à 35 000 passages pendant l'été. Il y a 30 000 pass pont-pont en circulation, qui permettent d'emprunter les ponts de Normandie et de Tancarville à tarif réduit, et 4 500 clients qui font le trajet domicile-travail via l'abonnement Rivages."
Pour traverser… Il faut payer !
Le pont de Normandie est payant depuis sa mise en service.
Pour faire un aller-retour de l'autre côté de l'eau, les Havrais doivent désormais débourser près de 12€. Un tarif prohibitif qui fait parfois débat. Le député communiste havrais Jean-Paul Lecoq en a d'ailleurs fait l'un de ses combats, plaidant auprès du ministère des Transports "la libération" des ponts à partir de la fin 2031.
Augmentation au 1er février
C'est à cette date que la concession accordée à la CCI Seine Estuaire arrivera à échéance. Elle avait été rallongée, après la crise du Covid. "La pandémie a mis un coup d'arrêt au chiffre d'affaires et aux travaux d'entretien, relate Claire Grivel, directrice des concessions des ponts, et si nous avons retrouvé en 2023 un trafic équivalent à celui de 2019, avec 22 000 véhicules par jour, il faut encore rembourser 172 millions d'euros pour la construction du pont de Normandie et les gros travaux." Un plan pluriannuel de 138,5 millions d'euros - dont 60% consacrés au pont de Tancarville et 40% au pont de Normandie - avait été lancé en 2022. C'est donc toujours le principe "d'utilisateur payeur" qui prévaut, avec un financement des ponts via les péages. "L'autre solution serait un financement par l'impôt, mais tous les conducteurs étrangers en bénéficieraient", note Pierre Michel, élu référent des ponts à la CCI.
Les tarifs pleins augmenteront au 1er février d'un taux équivalent à la moitié de l'inflation. Les tarifs des abonnements restent stables depuis 1996.
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