Plus de cinq ans après l'incendie du 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris doit ouvrir ses portes le mois prochain. Passer dès 2024 le premier réveillon de Noël en la cathédrale restaurée a été rendu possible grâce à l'engouement important autour de sa reconstruction, symbole fort de l'attachement accordée à Notre-Dame et la force de travail des artisans français. Tous ont répondu présent pour réaliser cette tâche dans les délais, y compris les Ornais, qui sont des dizaines à avoir participé au chantier, à travers leur métier ou en fournissant les arbres nécessaires.
"Les plus belles forêts de France"
L'Orne figure parmi les départements les moins boisés de France. Le taux de boisement du territoire figure entre 15 et 25% avec une superficie forestière comprise entre 100 000 et 150 000 hectares. Pour autant, plusieurs arbres ont été choisis dans les forêts ornaises, dont 29 donnés par des propriétaires privés. Peu d'arbres, mais de qualité ! "On a la chance en Normandie d'avoir parmi les plus belles forêts de France, notamment dans l'Orne et surtout au niveau du Perche telles que celle de Réno-Valdieu, Bellême, Perche-Trappe et Moulins-Bonsmoulins, plus tout un tas de forêts de propriétaires privés", lance François Feillet, patron de la scierie de Tinchebray à son nom.
Ces arbres sont l'héritage d'une politique engagée il y a plus de trois siècles par Jean-Baptiste Colbert, l'un des principaux ministres de Louis XIV. "A l'époque, il avait besoin de très grands bois pour pouvoir fabriquer ses bateaux. Il avait mis en place une sylviculture de futaie régulière où les arbres sont très serrés. Les bois, quand ils grandissent, cherchent toujours la lumière donc ils filent le plus haut possible. C'est pour ça qu'en Normandie, on a la chance d'avoir ces bois majestueux", raconte François Feillet.
Le dernier arbre, abattu dans l'Orne
Parmi les propriétaires privés donateurs se trouvent les moines de l'Abbaye de la Trappe qui ont fourni deux chênes. Elle a été la première communauté monastique en France à participer ainsi pour reconstruire la charpente de la cathédrale Notre-Dame. Le département a connu une première et une dernière aussi. Le 8 février 2023 a eu lieu l'abattage du dernier chêne nécessaire à la restitution des charpentes médiévales de la nef et du chœur, dans la forêt domaniale de Bellême en présence de membres importants de la restauration de la cathédrale. Hautement symbolique, ce moment est venu illustrer le passage de relais entre les forestiers de l'ONF, qui ont œuvré à la sélection du millier de chênes en forêt, et les charpentiers.
Enfin, le nouvel architecte des bâtiments de France de l'Orne, nommé début juin, a travaillé indirectement sur la réouverture de Notre-Dame. Benjamin Bourdiol avait ce même poste à Paris, qui couvrait notamment le 4e arrondissement, où se situe la cathédrale. Ses missions étaient liées au parvis et son projet de requalification afin d'améliorer l'accueil des touristes et la mise en valeur de l'édifice.
Comment choisir les arbres nécessaires ?
Plus de 2 000 chênes ont été sélectionnés avec minutie en France et dans l'Orne pour participer à la restauration de Notre-Dame de Paris.
"Tout s'est très rapidement mis en place", assure François Hauet, expert forestier gestionnaire technique de forêts normandes pour le compte de propriétaires privés. La collecte a été initiée presque immédiatement après l'incendie de Notre-Dame, en avril 2019. Les architectes et charpentiers en charge ont étudié la charpente pour connaître les dimensions des bois nécessaires pour une reconstruction à l'identique. Ainsi, des propriétaires privés et publics ont été mis à contribution. "Il y a eu un véritable engouement pour donner. Presque tous les propriétaires que j'ai sollicités ont répondu à l'appel sans hésitation", souligne l'expert forestier. Certains propriétaires ont répondu à la première tranche qui concernait la flèche pour laquelle il fallait plutôt de très grands arbres à l'inverse de la deuxième tranche correspondant à la nef.
Comment choisit-on les arbres ?
La première condition est celle de l'essence. La charpente a été faite uniquement de chênes, matériau utilisé lors de la construction de la cathédrale. Ensuite vient l'œil de l'expert. "On choisit les arbres en fonction déjà des diamètres qui correspondent le mieux aux sections demandées par les architectes, de leur rectitude ou encore des singularités sur les bois. Ça peut être des nœuds ou des pourritures", détaille François Feillet, patron de la scierie de Tinchebray qui porte son nom. Tous ces dons ont été répertoriés, "ce qui fait qu'on est capable de dire pour chaque pièce de la cathédrale de Notre-Dame de quelle forêt elle vient, qui l'a sciée et qui l'a donnée", conclut-il.
Ses arbres ont servi pour la nef de Notre-Dame
Eric de Catheu, gérant du groupement forestier de la butte Chaumont, et sa famille ont donné sept chênes pour la reconstruction de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
"J'ai voulu être au rendez-vous et j'y ai été !" lance Eric de Catheu. Le septuagénaire, gérant du groupement forestier de la butte Chaumont en forêt d'Ecouves, est fier d'avoir pu contribuer à la restauration de Notre-Dame de Paris en donnant des chênes. "Ma famille ayant toujours été chrétienne, mes ancêtres sûrement nous auraient dit qu'il fallait donner pour la reconstruction de Notre-Dame", estime-t-il. Mais la seule volonté de faire un don ne suffisait pas. "Nous ne pouvions pas donner pour le transept et la flèche, car pour cette première tranche il fallait des arbres de diamètre et de taille qu'on ne trouve pas en forêt d'Ecouves, qui est historiquement constituée d'arbres pour alimenter des fourneaux de forge, de verrerie ou de charbon de bois", explique le gérant forestier.
De 2 à 7 arbres
Il est donc hors-jeu à ce moment, jusqu'à ce qu'il découvre les diamètres des arbres nécessaires pour la nef. "Nous étions de nouveau dans la course, sourit-il. J'ai refait une demande et j'ai eu la chance d'être convoqué par un expert forestier, un ingénieur et le charpentier." Les premiers donateurs ne pouvaient pas donner plus de deux arbres, pour qu'il y ait un maximum de donateurs satisfaits. Mais pour la dernière tranche, il en fallait 6 minimum et 12 maximum par donateur. Les chênes ont été sélectionnés un matin du mois d'octobre 2022. "Pourvu qu'on ne s'arrête pas à 5, qu'ils en trouvent bien 6", s'est alors dit Eric de Catheu en partant de chez lui. "Quand ils ont trouvé le 6e, j'étais soulagé. Ils en ont même choisi un 7e !" Ensuite, tout a été très vite. Les chênes ont été bénis en forêt le 11 novembre suivant et abattus 7 jours plus tard. "D'ailleurs, quand le 7e a été abattu, le bûcheron m'a dit que celui-là faisait 16m et qu'il allait être trop long pour les grumiers parce que sur un grumier, la limite c'est 13m. Mais pour Notre-Dame, personne n'a rien dit, s'en amuse-t-il. Comme l'a dit l'un de mes neveux de 10 ans à ses parents juste après que j'ai annoncé à tout le monde qu'on avait fait une donation : 'Maman, je suis fier pour la famille'."
Une forêt symbolique
Le groupement forestier de la butte Chaumont, dont la famille d'Eric de Catheu a hérité, a été acheté à l'origine par son arrière-grand-père et son frère en 1875. C'est un domaine de 530 hectares, composé essentiellement de chênes de plus de 200 ans, de hêtres de plus de 100 ans et de Douglas de plus de 50 ans. Ce lieu, qui pourrait être considéré comme saint, est particulièrement symbolique. "La butte Chaumont historiquement était l'hébergement d'ermites en son sommet, dont la vocation au Moyen Age était de divulguer l'esprit religieux, raconte Eric de Catheu. A la fin du XIXe, Louis Martin, père de Sainte-Thérèse né dans le pays d'Alençon, est venu prier ici pour la maladie de l'une de ses filles d'abord, puis de sa femme ensuite. A la fin de la guerre de 40, les capucins ont établi un ermitage dans une ancienne ferme, aujourd'hui disparu, et récemment, les carmélites d'Alençon ont quitté Alençon pour ouvrir un carmel à 600m à l'est du massif à Cuissai."
Les plus belles pièces faites à la scierie familiale Feillet
La scierie Feillet à Tinchebray, comme bien d'autres dans le département, a participé à la reconstruction de Notre-Dame de Paris en sciant notamment les bois de la flèche.
Si près d'une dizaine de scieries ornaises ont été amenées à travailler pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, la majorité des pièces ont été réalisées par la scierie Feillet de Tinchebray, entreprise familiale depuis 1966 reprise par les deux fils du fondateur, François et Renaud.
De la forêt à la scierie
Le premier travail de François Feillet a été d'accompagner les experts en forêt pour marquer les premiers bois. "Ils sont arrivés avec une liste. Je leur ai expliqué quel bois il fallait prendre en fonction de leurs besoins, avant qu'ils aillent chercher partout ailleurs en France", se souvient-il.
Une fois les bois coupés, par des bûcherons extérieurs à l'entreprise, et acheminés à Tinchebray, place au sciage afin de réaliser les sections dans ces arbres pour construire la charpente. "C'est soit un carré, soit un rectangle avec des longueurs et des sections différentes, en fonction de l'utilisation des pièces au sein de la charpente", explique François Feillet. Le travail achevé est ensuite envoyé au charpentier qui, lui, s'occupe d'assembler les pièces.
Les plus belles pièces ont été trouvées dans l'Orne ou dans la forêt de Bercé dans le nord-Sarthe, et sciées notamment à Tinchebray. "On a fait les plus belles pièces qui servaient à construire le tabouret, donc la base de la flèche, ainsi que les dernières pièces de la flèche, celles qui sont en haut et maintiennent le coq", se félicite avec modestie le patron.
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