Dans le langage courant, une "réponse de Normand" désigne une réponse qui n'en est pas vraiment une. C'est une manière d'éviter de trancher, de rester volontairement dans l'ambiguïté. Dire "oui" tout en laissant entendre "non", ou l'inverse. En somme, c'est l'art de répondre sans vraiment s'engager.
L'expression est attestée depuis la fin du XVIIe siècle et figure même dans le dictionnaire de Furetière en 1690. Le lexicographe y décrit déjà les Normands comme des gens qui avaient tendance à se rétracter après avoir conclu un accord. Cette réputation de prudence et de méfiance reste associée à la région, même plusieurs siècles plus tard, et l'expression est toujours utilisée aujourd'hui, notamment en politique.
Par exemple lorsqu'Edouard Phillipe est interrogé par Fabienne Sintès sur le traitement des enseignants :
"- Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous augmenter les profs ?
- Euh, c'est une bonne question…"
"Une bonne question", manière de ne pas prendre position.
Une origine juridique selon Yves Lecouturier
Pour l'historien Yves Lecouturier, la clé de cette expression se trouve dans le droit normand. Il explique que, dans l'ancienne coutume normande, un contrat n'était pas définitif avant un délai de 24 heures. Durant cette période, les parties pouvaient se rétracter sans que l'accord soit considéré comme valable.
Selon lui, ce délai d'hésitation serait à l'origine de l'idée que les Normands n'aimaient pas s'engager trop vite et préféraient laisser planer le doute. Une théorie intéressante qui lie la prudence normande à un cadre juridique bien spécifique. Pour lui, cette "réponse de Normand" était un moyen d'éviter les erreurs ou les fâcheries en laissant une porte de sortie.
Une question de caractère selon Christophe Maneuvrier
Mais cette théorie juridique ne convainc pas tout le monde. Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur en histoire médiévale à l'Université de Caen, propose une approche plus psychologique. Selon lui, l'expression serait davantage liée à un trait de caractère spécifique aux Normands : celui de ne pas se mouiller.
"Je pense qu'il s'agit surtout de méfiance, une manière de ne pas dévoiler ses intentions pour éviter de se faire piéger ou doubler", explique-t-il. Pour cet historien, les Normands auraient développé cette attitude face aux Parisiens ou à d'autres étrangers curieux, préférant répondre de manière évasive pour ne pas dévoiler leurs projets ou leurs opinions trop rapidement.
Cette théorie met l'accent sur une prudence presque stratégique, née d'une méfiance envers les autres. Le "oui" qui veut dire "non" ou l'inverse devient ici un outil de protection face à des interlocuteurs perçus comme menaçants ou envahissants.
Une réputation de "procéduriers" selon Patrice Lajoye
Enfin, Patrice Lajoye, chercheur et spécialiste des langues, se tourne vers une troisième explication, plus sociale. Il rappelle que, sous l'Ancien Régime, les Normands traînaient une réputation de gens procéduriers et peu fiables. Cette perception aurait joué un rôle dans la naissance de l'expression.
"Les Normands étaient perçus comme des personnes qui n'aimaient pas se décider trop vite, par peur d'être trompés ou de s'engager dans un contrat qu'ils regretteraient plus tard", précise-t-il. L'hésitation, voire la rétractation, serait alors un moyen de se protéger d'éventuelles mauvaises surprises, un réflexe forgé par une longue tradition de prudence contractuelle.
Cette théorie rejoint en partie celle de Lecouturier, mais avec une nuance : elle ne se limite pas au droit normand, mais englobe un comportement plus général attribué aux Normands dans leurs relations sociales et économiques.
Entre mythe et réalité, une expression bien ancrée
Qu'il s'agisse de droit, de méfiance ou de réputation sociale, la "réponse de Normand" reste un mélange de légendes et de comportements historiques. Aujourd'hui, elle est devenue une forme d'humour : face à une question délicate, répondre à la normande permet de ne pas se mouiller, tout en maintenant une touche d'élégance et d'esprit.
Alors, la prochaine fois que vous vous trouvez face à un Normand un peu hésitant, rappelez-vous que derrière cette réponse ambiguë se cache une longue tradition de prudence bien ancrée dans l'histoire !
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