Ce matin au cimetière des Quatre-Nations, il n'y a pas un chat. Enfin si justement, juste un petit félin roux, qui se sert sûrement du site abandonné comme d'un immense terrain de jeux. Il existe six cimetières dormants à Caen, et l'un des plus intéressants se trouve juste à côté du Jardin des plantes.
C'est donc dans une ambiance particulière que je m'y aventure et découvre au fil des allées des tombes et caveaux plus ou moins bien conservés. On remarque facilement que certains bénéficient encore d'une attention particulière de proches ou d'admirateurs, alors que d'autres sont en ruines totales. Quand un oiseau décolle de son arbre, je me retrouve à sursauter, seul dans cette ambiance si particulière. Heureusement, me voilà très vite accompagné de mon guide du jour, Pierre Bonard. C'est parti pour une visite.
Un vrai silence de mort
Ce cimetière des Quatre-Nations est appelé ainsi car il regroupe quatre paroisses caennaises qui n'avaient pas de cimetière, m'explique-t-il. C'est à la fin du XVIIIe siècle qu'il a été décidé d'éloigner les cimetières du centre-ville, pour des raisons de salubrité. "Celui-ci date de 1784, on pouvait y enterrer jusqu'à quatre personnes par jour", glisse Pierre Bonard. Au gré des allées, ce passionné s'arrête pour évoquer les tombes et leur architecture, mais il ne manque pas de mettre en avant la végétation qui s'est invitée ici. "S'ils sont dormants, ces cimetières restent entretenus par la Ville. Disons qu'on se plaît à y laisser un désordre ordonné", sourit-il. Le site fait un peu moins d'un hectare et demi, où la nature a bien repris ses droits au fil des ans.
Depuis la fin du Second Empire, et donc aux alentours de 1870, ces cimetières n'accueillent plus de nouveaux résidents. A quelques exceptions près. "Ceux qui ont un membre de leur famille ici peuvent demander à reposer dans le même caveau. C'est une expérience que j'ai appréhendée avec un mes proches." La dernière inhumation au cimetière des Quatre-Nations a ainsi eu lieu en 1994. A peine cette anecdote finie, voilà que Pierre Bonard enchaîne sur une autre. "La guillotine a fonctionné à foison sur la place Saint-Sauveur pendant la période de la Terreur, consécutive à la Révolution française. Par exemple, un curé est enterré ici car il n'avait pas prêté serment sur la Constitution : il attendait les ordres de Rome."
Un film culte tourné ici
C'est donc au milieu de tombes d'illustres inconnus ou de quelques Caennais ayant marqué leur époque que les habitants d'aujourd'hui peuvent s'offrir une promenade. Les cimetières dormants sont ouverts de 10h à 18h durant la période estivale. Hormis celui-ci, il y a les cimetières Saint-Ouen, Saint-Nicolas, Saint-Jean, Saint-Pierre et un autre réservé aux protestants, à proximité de l'université. "Quand on visite une ville, on veut découvrir des châteaux, des églises, mais pas des cimetières !", s'amuse Pierre Bonard. "C'est assez curieux, mais beaucoup de Caennais ne connaissent même pas leur existence."
Pourtant, ce cimetière des Quatre-Nations, vous êtes beaucoup à l'avoir déjà vu sur grand écran. François Truffaut y a tourné des scènes de son film La Chambre verte. Alors, que ce soit pour mieux connaître votre ville et ses personnalités ou simplement flâner dans un passé qui semble figé, l'expérience vaut le détour.
Quel rapport ont les Caennais avec ces cimetières dormants ?
Philippe Longuépée vit tout proche du cimetière des Quatre-Nations
Philippe Longuépée vit tout proche du cimetière des Quatre-Nations.
"Je ne m'y rends pas plus que ça. J'y suis allé deux trois fois pour voir, par curiosité, de la même façon que je rentrerai dans une église sans être croyant. C'est vrai que c'est assez spécial, l'atmosphère y est particulièrement tranquille. Les cimetières dormants sont méconnus à Caen, la preuve, je sais qu'il y en a d'autres mais je ne connais pas leur nom ! Si je passe à côté, je m'y baladerai."
Virginie Besnard habite Bretteville-sur-Odon, et serait tentée par une visite
Virginie Besnard habite Bretteville-sur-Odon, et serait tentée par une visite.
"J'ai déjà visité un de ces cimetières abandonnés, entre la gare et la Demi-Lune, par curiosité. C'est un lieu de passage agréable pour une balade, dans une atmosphère particulière mais paisible. Je ne me déplacerai pas spécialement dans un autre cimetière seule pour visiter, mais dans le cadre d'une visite guidée, pourquoi pas. En apprendre plus sur l'histoire, c'est quelque chose qui m'intéresse."
Pierre Bonard organise des visites guidées dans les cimetières dormants
Pierre Bonard organise des visites guidées dans les cimetières dormants.
"Mon cimetière préféré est celui des Quatre-Nations. Je suis un romantique, j'aime ces arbres, ces oiseaux, ce mystère, cet abandon maîtrisé. Le romantisme s'oppose au classicisme, où tout doit être dans l'ordre ! Lors de mes visites, on passe d'abord par le cimetière protestant près de l'université, celui des Quatre-Nations, puis Saint-Nicolas, pas très loin. Cela fait 20 ans que nous les organisons, et elles plaisent toujours !"
Hugo Lebas, 22 ans, est étudiant en droit à l'université de Caen
Hugo Lebas, 22 ans, est étudiant en droit à l'université de Caen.
"Il y a un cimetière dormant tout proche de l'université. Je ne connais que celui-là. J'y suis allé rapidement par curiosité, c'est assez délabré. Il y a des noms et des dates sur les tombes, mais je n'ai pas assez de culture pour les connaître ! Ça pourrait être un lieu tranquille pour les étudiants qui souhaitent s'asseoir sur les bancs dans ce cimetière, mais j'ai l'impression que peu s'y rendent."
Ces personnalités qui reposent dans les cimetières dormants
Si d'autres illustres inconnus ont été enterrés dans les cimetières dormants caennais, d'autres ont laissé une trace, et sont encore connus par leurs actions.
Vous connaissez certaines personnes enterrées ici, promis. Il y a par exemple François-Gabriel Bertrand, ancien maire de Caen et surnommé le Haussmannien caennais, pour son réaménagement de la ville. Il donne son nom au boulevard Bertrand et est enterré au cimetière Saint-Jean, tout comme Arcisse de Caumont. Un lycée ou encore une rue portent le nom de ce grand archéologue et historien français qui a fondé plusieurs sociétés savantes.
Toujours à Saint-Jean, retrouvez la sépulture de Claude-Pierre Loyal, dit Blondin Cadet. Il est le premier clown blanc à avoir présenté les différents spectacles lors d'une représentation circassienne. Aujourd'hui encore, le présentateur se nomme… Monsieur Loyal !
Au cimetière protestant repose Georges Brummel, le pionnier des dandys anglais. Né à Londres, il aimait s'habiller avec recherche et aurait imposé le costume trois pièces de couleur sombre. Il a occupé le poste de consul d'Angleterre à Caen, avant d'y finir ses jours en 1840, ruiné.
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