Comment savoir si son enfant est correctement accueilli en crèche ? La question a refait surface dernièrement à Rouen, après la fermeture administrative, lundi 15 avril, d'une micro-crèche installée rue Beauvoisine, propriété du groupe Les Petits Chaperons Rouges, à la suite de signalements de parents et de salariés. Cette fermeture, "c'est la moindre des choses", réagit Lisa Lettelier, maman de Louison, une petite fille d'un an victime d'un choc à la tête en décembre dernier dans cette crèche après un accident avec un autre enfant.
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Un accident dissimulé
Elle a appris l'accident de sa fille seulement 48 heures après les faits. Et si quelques soins ont été prodigués à l'enfant prise à plusieurs reprises de vomissements, il n'y a pas eu, selon d'anciennes salariées, de vraie surveillance médicale pendant ce laps de temps. L'information aurait été verrouillée de l'intérieur. "Il y a eu des consignes de la part de la directrice de secteur de l'époque, on savait juste qu'on ne devait rien dire aux parents", explique Jeanne*, une des anciennes salariées. Cette dernière, comme d'autres salariées, fait alors remonter à la Protection maternelle infantile (PMI) plusieurs autres dysfonctionnements : un dégât des eaux dans la cuisine qui n'a pas été réglé depuis le mois de décembre 2023, des réfrigérateurs défaillants avec les repas des enfants qui terminent à la poubelle, des jouets pas nettoyés, une surcharge d'activités pour les enfants du fait de la nouvelle directrice, débarquée en février, etc. De son côté, la direction des Petits Chaperons Rouges explique qu'il n'y a eu "aucun acte contraire à la bientraitance, et que cette fermeture administrative ne fait suite qu'à des problèmes d'ordre technique, qui sont déjà réglés". Cet épisode résonne avec le sévère rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié il y a presque un an, visant notamment les micro-crèches et leur gestion quelque temps après un drame survenu dans une structure du groupe People&Baby à Lyon, où un enfant avait été tué. People&Baby, Aurélie* l'a bien connu puisqu'elle y a travaillé pendant plusieurs années à Sotteville-lès-Rouen, après le rachat de son ancienne structure par le groupe. Fausses promesses marketing, manque de moyens, amplitude horaire trop importante, taux d'encadrement pas respecté, la puéricultrice découvre de nombreuses dérives jusqu'à se mettre plusieurs fois en arrêt maladie pour surmenage.
"C'est l'usine à bébés"
"On fonctionnait à 14 enfants pour deux salariées", explique la professionnelle qui avait pourtant alerté la Protection maternelle et infantile, en vain. "C'est l'usine à bébés, il faut faire rentrer l'argent mais derrière, on ne s'occupe pas de savoir comment est pris en charge l'enfant", déplore la puéricultrice, qui a connu pas moins de six directrices en l'espace d'un an. Aurélie a changé cette année pour une crèche publique. "C'est une deuxième vie professionnelle, je retrouve mon métier de base."
Les micro-crèches ne représentent que 6,7% de l'accueil infantile en France, mais elles sont aussi les structures qui se développent le plus ces dernières années par rapport aux crèches traditionnelles et aux assistantes maternelles, en déclin.
Témoignages
Doriane Jean, ancienne salariée des Malicieux de Beauvoisine : "J'ai démissionné à cause des conditions de travail et d'accueil. On avait beaucoup de problèmes de planning, c'était très mal organisé. Une fois, la directrice s'est retrouvée toute seule à l'ouverture. Et au lieu de fermer la crèche ou de demander aux parents de revenir plus tard, elle a accueilli les dix enfants, ce qui est illégal. Dans ce groupe, on devait être un professionnel pour trois enfants."
Jeanne*, ancienne salariée des Malicieux de Beauvoisine : "C'est un cumul de plusieurs choses. Notre directrice de l'époque, par exemple, elle surchargeait les enfants d'activités. Elle sortait continuellement de nouveaux jouets, si bien que les enfants étaient très fatigués. Pas au point de s'endormir, mais c'était de la fatigue de surexcitation et de surstimulation. Les enfants de 0 à 3 ans, ils ont besoin de temps calmes et de ne pas faire travailler leur cerveau continuellement."
Aurélie*, ancienne salariée de People&Baby à Sotteville-lès-Rouen : "On a eu une personne qui est arrivée non diplômée et j'étais chargée de la former, mais j'ai dit à ma responsable que je ne voulais plus. Il fallait gérer mon travail au quotidien et former en même temps une personne qui n'a aucune expérience en crèche. Le développement d'un enfant, la façon de le porter, d'appréhender sa réaction, etc., c'est dans notre diplôme. En 150 heures, c'est impossible d'apprendre tout ça."
Lisa Letellier a eu son enfant aux Malicieux de Beauvoisine : "Le jour de l'accident, la crèche m'informe que ma fille a vomi mais on ne me dit rien de plus. On suspecte une gastro alors je vais chez le médecin qui ne trouve rien. C'est seulement deux jours plus tard que je suis accueillie par la directrice, gênée, qui m'explique que mon enfant 's'est fait éclater la tête par terre', ce sont des mots qui restent gravés à jamais dans la mémoire."
*Les prénoms ont été modifiés pour conserver l'anonymat de ces professionnelles qui évoluent toujours dans le milieu de la petite enfance.
La PMI, garante de la qualité de l'accueil en crèche ?
La Protection maternelle et infantile (PMI), plusieurs fois alertée sur le cas "Beauvoisine", s'occupe du contrôle des EAJE (Etablissements d'accueil du jeune enfant) partout dans le département.
"On fait à la fois des contrôles planifiés et des contrôles inopinés", explique Nathalie Lecordier, vice-présidente du Département de Seine-Maritime, en charge de l'Enfance notamment et de la Protection maternelle et infantile (PMI), compétence du Conseil départemental. En 2022, la PMI a ainsi visité 350 Etablissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) dans tout le département de la Seine-Maritime, parmi lesquels 30 structures ont nécessité une contre-visite. "Cela peut-être des dysfonctionnements au niveau du bâtimentaire ou sur le taux d'encadrement, etc."
Le contrôle se fait également du côté des assistantes maternelles agréées, qui ont un statut différent des EAJE et dont l'agrément peut-être aussi retiré. Au-delà des signalements qui peuvent être faits, les contrôles de la PMI se font, en principe, une fois par an dans les établissements concernés. "Nous ne sommes pas toujours sur des événements graves comme celui de la micro-crèche Beauvoisine", rassure l'élue.
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