Célébré chaque printemps à Gruchet-le-Valasse, le marché de la bière artisanale s'est considérablement développé en Normandie. Le Havre n'échappe pas à la tendance depuis 2019. Portée par sa marque locale à l'effigie de l'église Saint-Joseph, la brasserie LH Beer Factory, dirigée par Alexis Rio et Etienne Delavault, est la première à être apparue dans les bars et les caves. Brassée sur le site des anciens abattoirs, elle a rapidement été rejointe par L'Havrais Bière, de David et Anthony Gaudin, vendue notamment au bar du même nom. En parallèle, à Saint-Romain-de-Colbosc, Jérôme Avenel et son beau-frère Jérôme Pérot élaborent la JJAP, dont le développement s'est accéléré depuis le confinement. La Be News, portée par Fabrice et Marie-Pierre Guille, boucher et fromagère aux halles centrales du Havre, et Ivan Piteau, a vu le jour il y a un peu d'un an. Enfin, deux productions plus confidentielles complètent le panorama local : Ekino, brassée à Sanvic par Véronique Rioult, et La Péli de Pierre Grzelczyk, ancrée à Saint-Jouin-Bruneval.
Fabrice Guille, boucher aux halles centrales, a lancé la Be News, produite uniquement en canettes de 33cl.
Des bières en canettes
Pour se démarquer sur ce marché concurrentiel, à chacun sa recette. Cela passe, notamment, par le goût. "Mon idée de la bière artisanale, c'est la 'craft' : des recettes originales et faciles à boire", avance Jérôme Avenel, de Saint-Romain. La brasserie compte une douzaine de bières permanentes auxquelles s'ajoutent des éphémères, avec parfois des ingrédients originaux : algues, bénédictine, thé, citrouille, hibiscus ou même pain pour remplacer une partie de l'orge. Le duo a aussi développé L'Yportaise et La Fécampoise, "pour être présent sur ces marchés". La variété est également le crédo de L'Havrais Bière, qui vient de sortir un breuvage... à la betterave. "Optimiser les recettes, travailler les styles, c'est notre marque de fabrique, avec une remise en question permanente", souligne David Gaudin, qui distingue deux catégories de brasseries artisanales, "les créatives et les traditionnelles". 70% de sa production est écoulée au "taproom", le bar de la brasserie, quai de Southampton. Une solution proposée également par LH Beer Factory, qui possède le bar Le Craft, dans le quartier Danton, et par la JJAP à Saint-Romain, où l'on peut consommer sur place. Pour L'Havrais Bière, s'appuyer sur le bar a permis de limiter la casse, ces derniers mois, alors que les brasseries locales font face à une conjoncture difficile : augmentation du prix du verre, du malt d'orge, de l'électricité… "Et quand on est jeune entrepreneur, on paye tout au prix fort", remarque Fabrice Guille, de la Be News. Dans son local de 400m2 aux anciens abattoirs, il vient d'investir dans une imprimante industrielle, pour s'affranchir du coût lié à l'externalisation des étiquettes. D'autant que le boucher mise sur l'étiquetage personnalisable pour se démarquer, en proposant des packs dédiés aux clubs de sport et aux entreprises. Avec une particularité : la Be News n'est produite qu'en canettes. "C'est un matériau plus léger, qui se recycle facilement et qui permet de produire de la limonade avec les mêmes machines. Aujourd'hui, c'est notre niche."
David Gaudin, co-fondateur de L'Havrais Bière, s'appuie sur son bar pour écouler une grande partie de sa production.
"Nos concurrents, ce sont les industriels" : la bataille des fûts
Presque toutes les brasseries artisanales locales proposent de la bière en fûts et la location de tireuses. Mais pour se faire une place dans les bars, il faut passer outre les poids lourds du secteur.
"Nos concurrents, ce ne sont pas les brasseries havraises mais les industriels", affirment Alexis Rio et Etienne Delavault. Le duo à la tête de LH Beer Factory s'est engagé dans la bataille des fûts. "Au départ, en 2019, nous étions principalement sur le marché de la bouteille, rembobine Alexis Rio. Aujourd'hui, 80% de notre production est écoulée en fûts, dans les bars et sur les événements."
L'impact des contrats brasseurs
L'ambition est claire : conquérir de plus en plus de becs (tireuses) sur le marché des cafés, hôtels et restaurants (CHR), en Normandie et ailleurs, grâce notamment à leur seconde marque, la Normand'Ale, moins associée au Havre que la Saint-Joseph. Mais la brasserie normande se frotte aux "contrats brasseurs" signés par les bars : des contrats de financement proposés par les grands industriels de la boisson, qui impliquent une exclusivité. Impossible, pour ces établissements, de servir d'autres bières que celles du grand groupe. "Le meilleur exemple, c'est le Tetris ou le festival Ouest Park, où il n'y a pas de bière locale, déplore Etienne Delavault. C'est aussi ce qui explique que le marché de la bière artisanale est sous développé à Etretat." LH Beer Factory, en croissance, parvient néanmoins à gagner du terrain. Trois restaurants de la plage du Havre distribuent désormais ses bières. "Les supermarchés aussi ont bien compris l'intérêt de proposer des bières locales. Ce n'est pas que de la philanthropie, il y a un vrai business autour des produits locaux." L'ancrage local permet aussi de créer des bières "à façon", avec des bouteilles personnalisées pour un client. "Ce qui nous démarque des grands groupes, c'est un outil industriel ultra-flexible", poursuivent les entrepreneurs, qui déplorent cependant d'être taxés au même niveau que les industriels (charges sociales, TVA…). "Nous avons des charges d'industriels avec des chiffres d'affaires d'artisans."
La bière en fûts est aussi l'un des créneaux développés par la JJAP, implantée à Saint-Romain-de-Colbosc. "Il y a encore peu de bières artisanales dans les bars du Havre", estime Jérôme Avenel. Depuis un an, la brasserie seinomarine a développé une seconde gamme de bières en périphérie caennaise, baptisée Les Deux Terres. Elle brasse sur place et bénéficie d'une unité de stockage. Dans le Calvados, la proportion entre la vente aux particuliers et aux professionnels tend à s'équilibrer. Outre des caves au Havre, à Cany-Barville ou Fécamp, la JJAP tente aussi de se développer en région parisienne : "Le contact humain est très important pour développer de nouveaux points de vente. On commence par un sourire, une poignée de main… Mais il ne faut pas se dire que c'est acquis", estime Jérôme Pérot. "Le plus compliqué, c'est l'attente, ensuite. Si je ne rappelle pas, le client ne rappelle pas !", poursuit-il. Tout vient à point qui sait attendre. "Une épicerie dans les Yvelines a débuté par une gamme de bières… Aujourd'hui, elle propose neuf de nos références." Malgré l'augmentation du prix du verre, des céréales ou de l'électricité, en 2023, la brasserie de Saint-Romain a doublé son chiffre d'affaires.
"Le marché est toujours en croissance malgré la conjoncture"
Jean-Luc Hanin, président des Amis de la bière normande, est l'organisateur du salon de Gruchet-le-Valasse.
Comment se porte le secteur de la bière
en Normandie ?
"On est loin du pic de 2017-2018 avec 75 ouvertures de brasseries. Au 1er janvier dernier, on recensait 129 brasseries en activité, avec 16 ouvertures et neuf fermetures en 2023. Il y a une poursuite de la croissance, malgré une conjoncture économique difficile pour les brasseurs, sachant que la plupart des petites structures se dégageaient à peine un Smic avant la crise. Elles ont subi la hausse des prix de l'électricité, du verre et l'inflation : la bière artisanale est un produit de luxe pour certains consommateurs qui s'en détournent, comme on l'observe avec les produits bio."
Comment le marché évolue-t-il ?
"Les brasseurs qui s'en tirent se sont orientés vers le marché des fûts, qui n'était pas du tout une priorité en 2017, dans les festivals, les salons et bien sûr dans les bars. Mais c'est un marché trusté par des grands groupes qui gèrent le marché mondial de la bière. On a vu apparaître le réemploi des bouteilles, mais il faut écouler un volume important pour que cela soit rentable."
Le Havre est-elle une terre de bière ?
"A la densité de population, je dirais que non, en comparaison avec Rouen ou Caen où il y a beaucoup de brasseries en périphérie. Sur la communauté urbaine du Havre, LH Beer Factory et L'Havrais Bière sont bien implantées, sur des créneaux différents, la Be News se structure. Ekino, à Sanvic, et La Péli, à Saint-Jouin, ont des toutes petites productions. Mais Etretat n'a pas de brasserie, tout comme Fécamp d'ailleurs, il y a un marché à prendre. C'est l'un des créneaux que vise JJAP à Saint-Romain."
Le salon de la bière artisanale de retour le 7 avril
Le 8e salon de la bière artisanale normande se tiendra le dimanche 7 avril à l'abbaye du Valasse, entre Le Havre et Bolbec. Plus de cinquante brasseurs de la région seront au rendez-vous, dont dix pour la première fois.
Il est rapidement devenu un incontournable pour les amateurs de malt et de houblon. Le 8e salon de la bière artisanale se déroulera dimanche 7 avril à l'abbaye du Valasse, près de Bolbec. "Cette année, ce sont 55 brasseries de toute la Normandie qui exposent, dont dix seront présentes pour la première fois", se réjouit Jean-Luc Hanin, organisateur. Parmi ces nouvelles venues, la brasserie de Sainte-Mère-Eglise (Manche), qui proposera sa cuvée concoctée pour le 80e anniversaire du Débarquement. On retrouvera aussi Manon Vasseur et sa brasserie Les Alchimistes, installée récemment à Saint-Aubin-sur-Quillebeuf (Eure).
La bière du D-Day
Le salon est aussi l'occasion de déguster des recettes originales. Comme à leur habitude, les moines brasseurs de l'abbaye de Saint-Wandrille pourraient présenter une surprise. La brasserie JJAP de Saint-Romain présentera quant à elle sa Benec', une brune à la bénédictine. Dégustation, vente et brassage en direct seront proposés, ainsi que des animations sur le thème des Vikings, grâce à l'association Les Enfants de Rollon. C'est aussi lors du salon que seront remis les prix du concours de brasseurs amateurs, départagés par un jury de professionnels.
Pratique. Dimanche 7 avril à l'abbaye du Valasse, de 10h à 18h. 3€ l'entrée, gobelet offert. Restauration sur place.
La Péli, dernière née des bières locales
Une nouvelle brasserie a vu le jour le 1er décembre 2022.
Elle porte le nom de la mascotte de la commune. A Saint-Jouin-Bruneval, entre Le Havre et Etretat, La Péli s'est fait une place depuis décembre 2022. Le brasseur, Pierre Grzelczyk, a sorti ses premières bouteilles pour sa consommation personnelle et les copains. "J'ai eu des retours positifs, le cercle s'est élargi, alors j'ai suivi une courte formation à Rouen pour reprendre les bases du brassage."
Une double activité
Salarié dans l'industrie, il brasse le vendredi et le samedi et assure le collage et l'embouteillage deux soirs par semaine. Une activité rendue possible par un coup de pouce de la municipalité, qui a proposé à Pierre Grzelczyk de s'installer dans un local sous la Halle à tout faire. "Le but n'est pas de tirer énormément de bénéfices, je ne cherche pas à compléter les fins de mois. Je souhaite que cela reste à une petite échelle, l'ultra local c'est ce qui fait la force de La Péli et que j'ai franchi le cap de la première année d'activité."
Des bouteilles consignées
La bière s'achète sur place, le samedi. Cinq gammes sont proposées (plus une éphémère par trimestre) en bouteilles de 50cl, un format rare en France. Pierre Grzelczyk mise aussi sur la consigne, avec un système de remise au bout de dix bouteilles rapportées à la brasserie. Un aspect vertueux du système destiné à encourager "le client à revenir". Le brasseur estime cependant que seule une bouteille sur huit lui est rapportée.
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