On dit d'elles qu'elles exercent le plus vieux métier du monde. Mais à Rouen, on ne les voit presque plus dans les rues. Pourtant, les travailleuses du sexe (TDS) n'ont pas disparu. Elles ont surtout changé de façon de travailler, passant du trottoir à Internet. Un constat partagé à la fois par les associations de prévention de santé sexuelle, par les forces de l'ordre et par les TDS elles-mêmes.
L'une d'elles, Léna, a bien voulu témoigner pour Tendance Ouest. Originaire de Rouen et âgée de 25 ans, elle pratique cette activité depuis six mois désormais et exerce à son compte, principalement en Belgique, là où la prostitution est davantage tolérée. Elle aussi a passé le cap de la transition numérique. "C'est pour éviter de me mettre en danger", explique la jeune femme, devenue entre-temps bénévole pour l'association Médecins du monde à Rouen, qui vient au chevet des travailleuses du sexe pour faire de la prévention. "Dans la rue, on peut moins sélectionner sa clientèle et on a des taux horaires moins élevés", poursuit la jeune femme.
Une dizaine de plateformes
A l'instar de nombreuses TDS, elle organise les rencontres avec ses clients via des plateformes sur Internet particulièrement explicites. Plus numérique, cette nouvelle prostitution est aussi de plus en plus encadrée. "Il est possible aujourd'hui de se déclarer (travailleuse du sexe) et donc de cotiser à l'Urssaf", déclare Léna. Depuis 2016, la loi a en effet décriminalisé le racolage passif, si bien que les prostituées sont passées de délinquantes à "victimes", un nouveau statut souvent décrié par les premières concernées.
L'association Médecins du monde scrute une dizaine de sites pour assurer ses maraudes "virtuelles" en place depuis plusieurs mois. "La crise de la Covid a accentué le phénomène sur Internet", confirme Carine Grenier, coordinatrice en réduction des risques pour Médecins du monde. "En ce moment, il y a plus de 400 annonces à Rouen sur l'un des principaux sites", précise-t-elle. Ces maraudes d'un nouveau genre, organisées à raison de deux à trois heures par semaine, permettent aux TDS, une fois le contact établi, de venir récupérer du matériel gratuit tels que des préservatifs, du lubrifiant, des tests VIH, etc. A Rouen, Médecins du monde est épaulée par l'association Aides qui, depuis trente ans, fait aussi de la prévention de santé sexuelle auprès des prostituées. "Nous ciblons les femmes et le public transsexuel, plutôt afro-caribéen et sud-américain", explique Julien Chavasse-Frétaz, membre de l'association. Un public "plus à risque" du fait de leur plus grande précarité. "On sait que plus il y a précarité, plus il y a risque d'épidémie."
De son côté, Médecins du monde "n'est ni pour ni contre la prostitution, précise Carine Grenier. Quelles que soient les raisons qui amènent la personne à avoir cette activité, on l'accompagne pour qu'elle le fasse de la manière la plus sûre." Malheureusement, cette cible n'est plus si facile à atteindre avec Internet. L'association n'obtient que "6% de réponses environ" lors des maraudes virtuelles, tandis qu'elle rencontre chaque année entre 70 et 75 prostituées en rue. Les TDS sont, en effet, sursollicitées, à partir du moment où elles partagent leurs coordonnées sur les annonces. Médecins du monde vient ainsi au chevet des TDS depuis les années 2000 via son programme nommé désormais Lucha, du nom d'une ancienne prostituée transgenre, assassinée à Rouen en 2016.
"C'est une réalité qu'on observe depuis 2016"
Les forces de l'ordre doivent aussi s'adapter à cette nouvelle forme de prostitution à Rouen. Un groupe, au sein de la brigade de répression du banditisme, se charge de traiter ces affaires.
Du côté des forces de l'ordre, on estime que la prostitution de rue à Rouen ne représente plus que 15% du volume total de la prostitution. "C'est une réalité qu'on observe depuis 2016", explique Jérémie Dumont, commissaire divisionnaire au service interdépartemental de la police judiciaire de Rouen. "Il y a une concomitance entre l'intervention de cette nouvelle loi sur la fin du racolage (lire par ailleurs) et ce nouveau visage de la prostitution", poursuit le commissaire.
Ce phénomène s'accompagne toujours de puissants réseaux de proxénétisme. "Il y a aussi, de nos jours, une délinquance d'opportunité, pratiquée par des personnes qui font dans les stupéfiants ou dans le banditisme et qui adjoignent à leurs activités du proxénétisme." A Rouen, une douzaine d'agents au sein de la division de la criminalité territoriale s'occupent de traiter ces affaires. On compte ainsi 150 dossiers en cours, plusieurs démantèlements de réseaux chaque année et "entre deux et dix affaires d'agressions de prostituées par an".
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