Chacun sait que le département de l'Orne est réputé pour le lait et la viande qui sont fournis par ses bovins. Mais saviez-vous que l'Orne produit aussi de la laine ?
Une centaine d'éleveurs,
quelque 14 000 bêtes
La filature de Rochefort, ancien moulin à papier recyclé dans la laine, comptait par exemple quatre ouvriers dans les années 1880 à La Basse-Brunellière à Tinchebray. A l'intérieur : batteur, loup, cardeuses, renvideuses, retordeuses et bancs à broches, autant de machines aux noms barbares. La laine y arrivait en balles pour ressortir en fils de deux à cinq brins, destinés à faire de la laine à tricoter et des couvertures de lits.
La production y a cessé dans les années soixante, mais le site est désormais inscrit aux Monuments historiques avec ses outillages, son équipement et ses installations hydrauliques.
Après avoir quasiment disparu, l'élevage des moutons semble renaître, pour la viande. On dénombre près d'une centaine d'éleveurs dans l'Orne, et environ quatorze mille bêtes. Dans le courant du mois de janvier, un élevage de Saint-Evroult-de-Montfort (près de Gacé) a même accueilli les 19e Ovinpiades, concours des jeunes bergers qui a mis en compétition quarante jeunes issus de six établissements normands de formation agricole. Des épreuves théoriques et d'autres pratiques ont permis de sélectionner les deux meilleurs jeunes Normands qui iront concourir pour le titre national le 24 février à Paris, lors du Salon international de l'agriculture. L'ultime étape pour le meilleur berger et la meilleure bergère de notre pays sera les "Ovinpiades mondiales", manifestation itinérante qui sera disputée à Paris et dans plusieurs régions françaises du 25 mai au 1er juin.
Made in China
Si jusque dans les années 90 la Chine a acheté la plupart de la laine produite en France, ces exportations ont subitement été réduites, provoquant un effondrement des cours. Depuis, le kilo de laine brute ne vaut plus grand-chose, juste quelques centimes. Impossible pour autant de la brûler, même si elle juste considérée comme un déchet. C'est ce qui a incité des éleveurs à se lancer dans la transformation de la laine, pour en faire un produit fini, prêt à tricoter, avec une valeur marchande.
Tricotez en réseau
Lors du confinement lié à la Covid, beaucoup se sont remis à tricoter, retrouvant les gestes de leur grand-mère qui, jusqu'alors, leur semblaient bien désuets. Certes, depuis la Covid, le soufflé est un peu retombé, mais des réseaux de tricoteuses et tricoteurs se sont constitués, s'échangeant leurs trucs et astuces sur les réseaux sociaux. La tradition retrouve ainsi une certaine modernité, avec une laine locale de qualité. Et vous, à quel moment allez-vous vous mettre à tricoter un pull avec de la laine "made in Orne" ?
Avec ses moutons, Hannah produit de la laine et la teint
A Caligny, près de Flers, Hannah Wenger commercialise la laine de ses moutons.
Hannah Wenger est arrivée en 2016 à la ferme de la Bérouette à Caligny, près de Flers. Depuis, la ferme a acheté un troupeau d'une centaine de brebis Texel Suffolk dont elle commercialise la laine avec son Atelier la filière. "Elle est géniale pour le rembourrage, la literie. Mais on a aussi un bélier Bleu du Maine qui permet d'obtenir une laine plus fine qui permet de faire du fil, explique-t-elle. On fait aussi de la viande ovine qui est nécessaire pour dégager un revenu." Hannah attend de boucler ses comptes de 2023 pour connaître la rentabilité de son activité qui est très récente. L'an dernier, ses animaux ont fourni trois cents kilos de laine non lavée, qui perd 30% de son poids lors de sa transformation. "La laine est peu payée en France et je collecte aussi la laine d'autres éleveurs pour travailler un plus gros volume, environ deux tonnes."
Hannah envoie sa laine en Belgique pour être lavée. "Aujourd'hui, c'est le site le plus proche de la Normandie." Puis la laine est cardée et feutrée en Bretagne ou filée dans le sud de la France avant de revenir en gros cônes dans le Bocage. La laine part alors chez des tricoteurs ou des tisserands, pour par exemple faire des bonnets. Mais Hannah fait aussi des écheveaux de laine. "J'en fais la teinture à base de plantes naturelles que je cultive toute l'année." Le cosmos sulfureux et la gaude donnent du jaune, la garance donne du rouge, l'indigo donne du bleu.
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Pratique. Contact : atelierlafiliere.fr.
Dans son Atelier pure laine, Frédérique partage sa passion
Depuis 1987, Frédérique Turgot et son époux élèvent des moutons à La Lande-sur-Eure. Frédérique en commercialise la laine.
Tout allait bien jusque dans les années 2010, moment où la Chine arrête d'acheter la laine française. Les cours se sont alors effondrés, laissant à Frédérique Turgot cinq cents kilos de laine sur les bras. "On n'allait pas la brûler, donc on a cherché des circuits de commercialisation directe", explique celle qui élève des moutons avec son mari à La Lande-sur-Eure. A l'époque, elle passe des petites annonces et vend un peu de son stock à des gens qui voulaient isoler des maisons. C'est aussi à ce moment-là qu'elle débute la transformation artisanale des toisons de son troupeau d'hampshire down, une race britannique plutôt destinée à la viande, mais dont la laine donne du bon fil qui ne feutre pas et qui passe en machine, pour l'habillement.
"Les tons varient chaque année"
"Il existe une communauté autour de la laine. Quand j'ai vu ce que les fileuses arrivaient à faire de mes toisons, ça m'a donné l'envie de m'y mettre, j'ai appris à filer... Ensuite, on a toujours envie d'aller plus loin." Le volume nécessite de passer d'un simple loisir artisanal très chronophage à une phase semi-industrielle : Frédérique découvre une filière de professionnels expérimentés et sa laine est désormais lavée en Haute-Loire et filée dans la Creuse. "Mais je l'y emmène moi-même, souligne-t-elle, depuis qu'un transporteur avait égaré l'une de mes cargaisons !" Sa satisfaction ? Voir des tricoteuses et des tisserands apprécier sa laine et venir en racheter. Chaque année, elle fait des essais, produit un nouveau fil de laine, toujours exclusivement avec de la laine écrue, "mais les tons varient chaque année, en fonction de la météo".
Une communauté
Depuis quelques années, Frédérique, qui fournit la matière première, partage cette aventure avec une communauté de tricoteuses qui se réunissent physiquement dans son atelier. Mais aussi avec d'autres, via Instagram : "C'est Monsieur et Madame Toulemonde, de 25 à 72 ans, de tous les univers." Cela lui a valu la visite de tricoteuses venues du sud de la France ou de Belgique. Ce réseau s'échange des idées, des trucs, ce qui permet à chacun de progresser. Bientôt, pour cause de retraite, l'élevage sera un peu réduit. Mais l'activité "laine" continuera sous forme associative, avec la laine de Frédérique, celle d'autres éleveurs et d'autres encore, fournie directement par la filature. En ce mois de février et jusqu'au 10 mars, Frédérique avec son Atelier pure laine est présente à quatre dates, sur le festival Tout feu tout flamme qui anime le Perche.
Pratique. Contact : atelierpurelaine.com ou instagram.com/atelierpurelaine.
William file lui-même la laine de ses moutons
A Heugon près du Sap, William Cerveira avait des moutons qui produisent de la laine. Sa compagne tricote. Il s'est donc mis à filer la laine !
Installé à Heugon, William Cerveira a appris à filer la laine.
Pourquoi avoir pris cette décision ?
"Ici, on a beaucoup de terrain, donc on a développé de l'écopâturage. Rapidement, on s'est retrouvés avec des sacs de laine. Gâcher cette laine de nos moutons de race Nez noirs du Valais et de nos alpagas, pour moi, ce n'était pas concevable. Au début, on a utilisé la laine pour faire de l'isolation. Mais ma compagne Marion avait la passion du tricot, alors apprendre à tisser la laine permettait de se faire rejoindre toutes nos passions."
Est-ce facile à apprendre ?
"J'ai acheté un rouet. On avait quinze kilos de laine, c'est compliqué de filer ! Au début, c'est de l'énervement : il faut prendre la cadence avec le pied pour faire tourner le rouet, je devais compter pour être dans la cadence ! Ensuite, il faut synchroniser ses pieds et ses mains, c'est beaucoup plus 'technique' qu'il n'y paraît. Il faut pratiquer, pratiquer, et encore pratiquer. Au début, je trouvais mon fil magnifique mais il était gros, moche, piquant ! Il faut plusieurs mois avant de réussir à produire un fil de laine de bonne qualité. C'est fastidieux, mais ça me fait déstresser."
Que devient votre laine ?
"Marion en tricote, mais les gens aiment le fait main et, depuis septembre, on fabrique aussi des petites figurines en feutrage de laine qui sont vendues sur les marchés de la région, comme à L'Aigle, La Ferté-en-Ouche ou Bernay."
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Pratique. Au printemps, le couple ouvrira son élevage à la visite. Tél. 06 19 35 09 79.
Malvina Lalière, seule productrice de laine mohair de l'Orne
A La Madeleine-Bouvet, Malvina Lalière est la seule productrice de laine mohair dans l'Orne.
A la Ferme de l'Aritoire à La Madeleine-Bouvet, Malvina Lalière élève ses trois enfants. Elle travaille seule sur son élevage d'une cinquantaine de chèvres angora. Il y a quatre ans, elle a repris l'exploitation où ses parents produisaient du fromage. Une activité qu'elle a diversifiée avec la production de savon, de cosmétiques, et plus récemment de laine mohair, dont elle est la seule productrice dans l'Orne. Particularité : ses animaux, femelles comme mâles, produisent cette laine d'exception.
De la laine mohair
"C'est une laine qui est fine, soyeuse, qui ne va pas feutrer, explique Malvina. On est sur quelque chose de très élégant." Avec une particularité : si beaucoup de producteurs de mohair mettent leur laine en commun, Malvina reste à part : "On tond deux fois par an, on trie la laine, puis la toison va au lavage dans les Pyrénées et enfin dans les Hautes-Alpes pour être filée dans une manufacture, mais sans être mélangée à celle d'autres éleveurs." Elle envoie cent kilos de laine brute qui reviennent sous la forme de deux mille pelotes. "C'est uniquement le mohair de mes animaux qui revient, et chaque fois que le livreur rapporte une production, c'est une grande émotion." Tout ce processus prend environ six mois mais derrière ce travail artisanal, se cache une recherche génétique.
"On tricote à la maison, ça demande du temps"
Pour tenter d'améliorer sa production, Malvina travaille avec Capgènes, centre national de production de semence en caprin, qui sélectionne les animaux reproducteurs les plus intéressants pour le fil à tricoter, d'où l'importance de ne pas le mélanger avec celui d'autres producteurs. Le challenge est de produire le plus possible de fils, le plus fin possible. "Avec la génétique, on essaie d'augmenter la quantité."
Outre ce travail sur la laine, il faut aussi anticiper les envies des clients, choisir les bonnes couleurs de laine. Puis, lorsque la laine sort de la filature, il faut la tricoter : "Soit je vends des pelotes à des tricoteuses ou à des créateurs, soit on tricote en famille à la main, ça demande du temps et on fabrique des articles comme des pulls qui sont proposés à la vente dans la boutique sur la ferme."
Développer cette activité
L'activité mohair sur la Ferme de l'Aritoire est complémentaire de celles concernant le savon et la cosmétique : "C'est un tout et après seulement quelques années d'activité, je ne peux pas dire qu'aujourd'hui le seul mohair permettrait de faire vivre la ferme", explique la chef d'exploitation.
S'ajoute aussi de l'hébergement touristique. La productrice de laine imagine un développement très progressif de sa production de laine, "avec davantage de revendeurs, des merceries, des boutiques de laine. Mais je veux des gens aptes à donner de bons conseils aux clients, le mohair est très spécifique, souligne-t-elle. Ce sera un développement de ma production tout en douceur, comme la douceur de la laine mohair !".
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Pratique. Contact : fermedelaritoire.com.
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