Ils ont essuyé les plâtres. Ils font même partie des murs. Odette Millet, 91 ans, a connu le déménagement du Centre anticancéreux de Caen du CHR Clemenceau au Centre François Baclesse, en 1973. Jean-Yves Le Talaër, lui aussi âgé de 91 ans, est arrivé de Paris un an après la construction du centre. Il avait à charge de développer le bâtiment consacré à la recherche. "Tout était vide quand je suis arrivé. J'ai cru faire une syncope, rembobine-t-il, vivant de plein fouet la transition de l'hôpital parisien Pasteur à un hôpital de province à Caen. Il n'y avait pas une chaise. Il y avait tout à faire." Le docteur Abbatucci, directeur du centre, lui, laisse carte blanche pour faire vivre ce nouveau service. "Ma première mission était de construire une animalerie", afin de réaliser des recherches précliniques.
En 1973, le centre Baclesse était
un bâtiment "petit" et "intime"
En 1973, le nouveau bâtiment de Baclesse abrite 279 lits d'hospitalisation, 525 salariés et 40 médecins. Deux ans plus tard, il est officiellement inauguré par Simone Veil, ministre de la Santé de l'époque. Odette, qui travaillait en qualité de surveillante (l'équivalent de directrice des soins), se souvient d'un bâtiment "intime", "pas très grand", où tout le monde se connaissait. L'hôpital avait été construit en forme de T, sous la houlette du docteur Abbatucci. "Il y avait sept services d'hospitalisation, répartis par demi-étages. Les hommes et les femmes étaient d'ailleurs séparés, rembobine-t-elle, la mémoire encore fraîche. Je me souviens aussi d'une salle d'attente microscopique." En se replongeant dans ses souvenirs lointains, Jean-Yves évoque un "petit bâtiment, bien organisé" où régnait "une grande amitié entre les gens".
Les deux retraités ont aussi vécu de grandes transformations. À commencer par la modernisation des équipements. "À l'époque, on n'avait pas d'ordinateur, on faisait des fiches patients sur papier", explique Odette, surnommée "dépannage en tout genre" dans le service. Sévère mais juste, elle gardait un œil partout dans les couloirs de l'hôpital. "J'ai un souvenir très précis du moment où les secrétaires ont reçu les premiers ordinateurs ! Elles étaient ébahies !, sourit Jean-Yves. J'ai assisté à la modernisation et l'évolution de la recherche médicale en cancérologie." En 1981, le Centre Baclesse crée le dossier médical informatisé. Les nonagénaires ont aussi vécu les bouleversements structurels comme en 1986, et cette première opération d'extension qui abrite aujourd'hui le service de radiologie.
Le Breton de naissance a passé vingt ans de sa vie au Centre François Baclesse. Il en garde "un excellent souvenir". Au départ, "il fallait bricoler avec les moyens du bord, mais ce centre est devenu très rapidement important, et l'un des meilleurs centres de France", avance avec certitude l'ancien chef du service recherche et enseignant à l'université. "Baclesse, c'était toute ma vie." Pour Odette, qui est passée d'infirmière à cadre de santé, le Centre François Baclesse l'a accompagnée toute sa vie. "Ma vie, c'était ma profession. Je n'ai jamais envisagé de partir. J'étais bien où j'étais."
"Avant, on allait prendre notre douche sur le palier"
Chrystelle Hennard a contracté un cancer du sein à l'âge de 40 ans. Cela fait dix ans qu'elle est suivie au centre François Baclesse. Témoignage.
Dans sa famille, cinq personnes sont touchées par un cancer du sein ou de l'utérus. Chrystelle Hennard, 49 ans, a contracté un cancer du sein à l'âge de 40 ans. Cela fait dix ans qu'elle est suivie au centre François Baclesse. "Je vis avec la douleur 24 heures sur 24. J'ai l'impression qu'on me donne des coups en permanence", raconte cette patiente, habitante de Blainville-sur-Orne. En raison de complications post-chimiothérapie et radiothérapie, elle doit venir une semaine tous les quatre mois pour traiter la douleur. "On est bien aidé, aussi bien sur les soins qu'au niveau psychologique. Ils sont très à l'écoute. Ça fait du bien au moral." Infirmières, aides-soignantes, psychologue, réflexologue… Chrystelle a créé du lien avec le personnel soignant. Seul hic : depuis la Covid-19, elle n'a plus de lien avec les autres malades. "Avant, on se rejoignait dans une salle pour discuter de nos vies et de nos maladies. C'est dommage, ça me manque."
En dix ans de suivi, elle a aussi vu le bâtiment évoluer. Les chambres, par exemple, ont été modernisées. "Il y a eu du progrès. Quand je suis arrivée ici, on allait prendre notre douche sur le palier. Maintenant, la chambre est tout équipée. C'est propre et neuf, témoigne la quadragénaire. Je n'irai pas ailleurs. J'y vais presque de bon cœur. Je pense que je suis ici pour une trentaine d'années encore." En janvier 2024, Chrystelle va subir une ablation des seins. Le combat continue, tout en gardant le sourire.
"Le Centre Baclesse de demain sera beaucoup plus hors les murs"
Chirurgien de métier et directeur scientifique du Centre Baclesse, Roman Rouzier a été nommé directeur en juillet dernier. Il évoque l'avenir de l'établissement, spécialisé dans le traitement des cancers.
Chirurgien de métier, Roman Rouzier a été nommé directeur du Centre François Baclesse en juillet dernier.
En arrivant à la tête du Centre François Baclesse, quel est votre projet ?
"Garder l'ADN de l'hôpital en s'assurant que le patient ait accès à des soins de qualité et à l'innovation. Je veux continuer à connecter Baclesse aux hôpitaux régionaux."
Quels sont les grands changements
à venir ?
"On doit changer l'organisation pour faciliter le parcours du patient. Au lieu de venir quatre fois pour des rendez-vous dans l'établissement, on se débrouille pour que le patient ait ses quatre rendez-vous dans la même journée. Il faut aussi proposer les soins de support le plus tôt possible."
Un nouveau bâtiment devrait voir le jour, n'est-ce pas ?
"Oui. Ce nouveau bâtiment sera composé de sept étages avec la 'pharmacie de demain', avec les molécules thérapeutiques innovantes, un laboratoire de génétique moléculaire puis la recherche, la plateforme Platon, et la maison de l'après-cancer. Il sera situé entre le bâtiment de recherche actuel et l'hôpital, à l'horizon 2028."
Le bâtiment de Baclesse fête ses 50 ans.
Comment imaginez-vous l'établissement
dans 50 ans ?
"Le Baclesse de demain sera beaucoup plus hors les murs. Cela veut dire qu'on doit être capable d'accompagner les patients au plus près de chez eux, soit en amont de la maladie, soit sur l'après-cancer."
Ce que vous ignorez en coulisses
Gaffes, anecdotes, histoires croustillantes… La rédaction de Tendance Ouest vous emmène dans les coulisses du Centre François Baclesse de Caen, qui fête les 50 ans de son bâtiment.
Voilà 50 ans que le Centre François Baclesse occupe le bâtiment actuel. Cet hôpital privé accueille 27 000 patients par jour, emploie 1 000 agents dont 150 médecins et forme 600 étudiants. Depuis 1973, il a empilé de nombreux souvenirs. La rédaction a sélectionné quelques anecdotes et histoires croustillantes pour vous.
Les sangsues s'enfuient
Difficile pour Maryline Esnault de choisir le souvenir le plus marquant après 18 ans de carrière au sein du Centre Baclesse. Parmi eux, il y a "cette partie de belote avec un patient à Noël". Et surtout, parmi les plus loufoques, l'échappée des sangsues dans la chambre d'un patient. "On utilisait des sangsues pour raviver le flux sanguin dans un lambeau de peau. On avait mal refermé le bocal et les sangsues se sont échappées, se remémore dans un sourire cette cadre de santé du service oncologie médicale. On était à quatre pattes toute la nuit pour chercher les dix sangsues disparues." Ouf, tout s'est bien terminé.
Des dentiers retrouvés dans les draps
Jusqu'en 2012, le service de blanchisserie était totalement autonome avant d'être externalisé. Jusqu'à une tonne de linge pouvait être traité par jour. "Trois machines à laver de 100 kg tournaient de 8 heures à 16 heures tous les jours", explique Éric Pacteau, ex-responsable des services hôteliers. Parmi les objets trouvés, il n'était pas rare de retrouver les dentiers de patients hospitalisés. Mais aussi, des portables, des stylos, des gommes, ou encore des bijoux. "C'était une vraie caverne d'Ali Baba !", sourit le retraité.
Bougie d'anniversaire à la cantine
À chaque anniversaire d'un patient, l'hôpital avait pour habitude d'offrir un gâteau d'anniversaire accompagné d'une bougie pour marquer le coup. À Noël, le restaurant distribue des ballotins de chocolat, un brin de muguet au 1er mai ou encore une rose à chaque patiente lors de la fête des mères. Entre 500 et 600 repas sont servis par jour au restaurant du Centre Baclesse.
Les pieds dans l'eau
Pour Stéphane Lebailly, responsable technique du centre, l'anecdote la plus significative reste les inondations de juillet 2013. "On s'est retrouvé avec 850 m3 d'eau dans le bâtiment, se souvient-il. C'était la crise ! L'eau débordait de partout. Le sous-sol, le rez-de-jardin ainsi que le rez-de-chaussée étaient totalement inondés. On avait dû couper l'électricité car l'eau montait dans les postes de haute tension." De là à stopper toute l'activité hospitalière ? "Non, les étages de soin n'étaient pas impactés mais il y avait des fuites un peu partout." En une nuit, tout avait été remis en état, et le directeur de l'époque, M. Khaled Meflah, avait donné un coup de main aux services techniques pour évacuer l'eau. Depuis, "on y pense à chaque fois qu'il pleut fort à Caen", sourit Stéphane, pour qui le Centre Baclesse n'a plus de secrets après 25 ans de service dans l'établissement.
Dans deux ans, le Centre François Baclesse fêtera son siècle d'existence. D'ici là, il y aura certainement de nouvelles anecdotes à raconter.
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