"À louer cabane de plage proche douches, eau potable, terrain de pétanque, équipée de chaises, tables, vaisselle, etc." Sur un site bien connu de petites annonces, un pan du patrimoine havrais est proposé à la location. Au début du mois de mai, on y comptait une dizaine d'offres : 80 € la semaine, 1 200 € la saison de mai à fin septembre, 500 € le mois de juillet… Une sous-location des cabanes de plage pourtant interdite. C'est la Ville du Havre, et elle seule, qui loue les emplacements dédiés. Comptez de 318 à 410 €, selon l'exposition de la cabane (vue mer ou non). "Les places sont rares", prévient la municipalité sur son site internet.
De plus en plus prisées
En cet été 2023, peut-être pour contrer ce type d'initiatives, elle a toutefois décidé d'ouvrir ce service à la location de courte durée, sur deux ou cinq jours. "Ce sera un test grandeur nature de l'attractivité de ces cabanes", selon Florent Saint-Martin, conseiller municipal chargé du littoral.
Sur internet, on trouve des annonces de location de cabane. Sous-louer n'est pourtant pas officiellement autorisé. - Capture d'écran
L'intérêt croissant pour les cabanes n'est pourtant pas à démontrer. "C'est comme pour l'immobilier : Le Havre devient tendance !", s'exclame Jacky Delamare, président de l'Association des usagers de la plage du Havre (AUPH), qui fêtera ses 30 ans en juillet. Elle regroupe 755 adhérents, cabanistes ou simples usagers des Bains Maritimes et terrains de sport. "Je reçois régulièrement des coups de fil de personnes étrangères au département, des Parisiens, même quelqu'un du Var." Une attractivité qui s'est accélérée ces dernières années avec, selon Jacky Delamare, "les 500 ans du Havre, les confinements et la popularité de l'ancien Premier ministre Edouard Philippe… Mais je ne voudrais pas que l'on devienne comme Deauville, avec des cabanes qui resteraient fermées la plupart du temps."
On a compté jusqu'à 2500 cabanes dans les années quatre-vingt. Aujourd'hui, il y en a environ 850.
La fabrication de la cabane selon le modèle Chemetoff - du nom du paysagiste qui a imaginé la promenade de la plage - le montage, le démontage et l'hivernage sont à la charge des propriétaires. Alors qu'une cabane neuve se vend 2 500 à 3 000 €, selon les constructeurs, certaines se seraient écoulées jusqu'à trois fois plus cher, ces dernières années. Une fois titulaire de son emplacement, on est prioritaire pour le renouveler la saison suivante.
On compte en 2023 un total de 847 cabanes, soit 41 de plus que l'année passée. Le nombre d'emplacements ne devrait cependant pas croître à outrance, affirme Florent Saint-Martin : "Pas question d'avoir un tapis de cabanes sur la plage, comme dans les années quatre-vingt. La plage, c'est une ambiance particulière. Il faut que l'on puisse épouser du regard la mer, l'horizon." Outre les douze cabanes ouvertes à la location de courte durée, six emplacements accessibles aux personnes à mobilité réduite ont été créés cette saison. Avant l'ouverture des Bains Maritimes, on totalisait une centaine de personnes sur liste d'attente pour obtenir un emplacement, dont 70 % pour une vue mer. Il convient de s'armer de patience : un seul emplacement vue mer supplémentaire a été officialisé cet été.
Petits secrets de cabanistes
Les cabanes ont leurs coutumes.
La cave pour l'apéro
Certaines cabanes possèdent une cave. Comprenez : une trappe sur le plancher, qui donne sur les galets. Évacuez les pierres, remplacez-les par des bières et voilà un frigo écolo pour l'été.
C'est quoi ton blase ?
Pas facile, quand on est cabaniste, de se souvenir de ses 846 voisins. "On connaît les prénoms, pas toujours les noms, remarque Jacky Delamare, président de l'Association des usagers de la plage du Havre (AUPH). Alors certaines personnes donnent des blases, des surnoms." Une coutume issue du milieu portuaire, souvent utilisée lors des tournois de pétanque. "Moi, je suis tranquille. Il y avait Le Marinier, un copain qui avait un maillot à bandes bleues et blanches, la Désaille, un type qui frappait fort à la pétanque ou Carlos Gardel, qui dansait bien le tango."
La météo
"Quand il fait très chaud, entre les rangées de cabanes, c'est étouffant. Les cabanistes prennent un parasol et descendent au bord de l'eau, sur les galets", histoire de se rafraîchir. La météo est d'ailleurs l'objet de conversations. "On a coutume de dire que si l'on voit l'autre côté de l'eau, c'est qu'il va pleuvoir. Si on ne le voit pas, c'est qu'il pleut déjà !".
Un petit déj' ouvert à tous
L'AUPH organise un petit-déjeuner ouvert à tous chaque premier dimanche du mois d'août. L'occasion pour promeneurs et joggeurs de partager café et tartines avec les cabanistes. Rendez-vous le 6 août.
Parole aux cabanistes : "C'est une culture qu'il faut garder"
Cabanistes parfois de père en fils, ils racontent leur vie au bord de l'eau, sur la grande plage du Havre.
Sylvain Dupuis, docker à la retraite,
cabane 18-1
"La cabane, cela me rappelle mes 20 ans. On se retrouvait en bandes de jeunes. À cette époque, Christophe chantait Aline à la radio. Je m'en souviens, car j'avais une copine qui s'appelait comme ça ! J'ai repris une cabane il y a quelques années. Celle-ci me plaît car on voit la mer, les bateaux qui passent. C'est toute ma vie. Je regarde si les copains dockers ont bien travaillé, si les conteneurs sont bien attachés ! Le mercredi, c'est le jour des enfants, avec lecture et jeux au programme. J'habite à Sanvic. C'est autre chose qu'un jardin. Un dépaysement, une culture qu'il faut absolument garder."
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Francis et Mauricette Fouque, menuisier et commerçante retraités, cabane 15-8
"Nous habitons la ville haute, à Caucriauville, en appartement. Nous sommes cabanistes depuis les années soixante-dix, d'abord locataires puis propriétaires. On se change, on va se baigner - même quand la mer est froide ! - on y mange… C'est très pratique. À l'intérieur, on a installé une table, de quoi cuisiner, un peu de vaisselle et une trappe, pour mettre les bières au frais ! Francis était menuisier dans le transport fluvial. Il a refait la cabane à neuf lui-même, il y a quatre ans. C'est aussi lui qui a taillé le petit baigneur en bois apposé près de notre numéro."
Gilles Guyomard, retraité de Chevron,
cabane 18-3
"Je suis cabaniste depuis que je suis né. Mes parents avaient une cabane. Dans les années soixante, il y en avait 2 000 sur toute la plage. C'était très populaire, ce n'était pas aussi prisé qu'aujourd'hui. Les gens préféraient plutôt partir au soleil pendant un mois. C'est revenu à la mode il y a une dizaine d'années. Ma cabane, je la fais monter et démonter, je ne touche à rien… Je peins seulement l'intérieur. Les portes en bleu ciel et le fond en foncé, car j'ai lu que cela agrandissait le volume…"
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Florence Peltier, sculptrice,
cabaniste face à la mer
"J'ai un emplacement face à la mer et j'y suis très, très, très bien. Le seul inconvénient, c'est que quand il y a du vent, il arrive en plein sur la cabane. Elle a déjà volé deux fois, notamment le 25 septembre 2020. Elle était en miettes, plus rien. Une vision d'apocalypse. Mais il y a tellement d'avantages ! J'aime me baigner, lire, rencontrer des copines (que je ne vois que l'été !)… C'est une vie parallèle. J'ai besoin de la mer. Comme je suis sculptrice, j'en profite pour ramasser toutes les saloperies de la plage pour en faire des œuvres. Mon dernier souvenir marquant ? Le départ des fondations d'éoliennes, l'été dernier. C'était émouvant."
Bains de mer et cabanes de plage, le patrimoine havrais
Tour d'horizon de l'histoire des cabanes au Havre.
L'histoire des cabanes rejoint celle des bains de mer, qui se développent dès 1820 et s'amplifient avec l'arrivée du train Le Havre-Paris, en 1847.
• Lire aussi. Le Havre. Fin de Couleurs sur la plage : les cabanes vont redevenir blanches
Le record d'Europe
"En 1838, la police des bains de mer précise que les cabines de plage doivent être recouvertes de planches ou de toile", relate Alexis Aunay, guide conférencier au Pays d'art & d'histoire. En 1910, 59 premières concessions sont attribuées, pour 10 francs le mètre carré. Les cabanes s'étendent sur une rangée, entre les rues Frédéric-Bellanger et Guy-de-Maupassant. La guerre met fin aux activités balnéaires, avant le retour des cabanes dès 1946. "Vient alors l'âge d'or, des années 50 aux années 80, où l'on a compté jusqu'à 2 200 cabanes. Un record en Europe", poursuit le guide. Très fréquentée, cette plage peu esthétique conduit certains élus ou habitants à souhaiter la disparition des cabanes. En 1993, l'association des usagers de la plage du Havre est créée, pour protéger ce patrimoine, avant l'aménagement de la promenade imaginée par le paysagiste Alexandre Chemetoff, en 1994.
Pratique. Pour en savoir plus, des visites commentées. "Cabanes, villas, immeubles : à chacun sa vue sur mer", samedi 15 juillet et dimanche 6 août à 15 heures, mardis 25 juillet et 22 août à 18 heures. "Patrimoine en forme ! La plage de Monet à Perret" (visite sportive), samedi 24 juin à 10 h 30 et vendredi 25 août à 18 heures.
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