[Dossier] Caen. Avec ceux qui font résonner les orgues des églises caennaises

Musique. Vous les avez sûrement vues, entendues, mais connaissez-vous bien les orgues des églises caennaises ? Certaines sont de véritables joyaux, et préserver ce patrimoine est primordial. Reportage.

Publié le 04/06/2023 à 12h00

[Dossier] Caen. Avec ceux qui font résonner les orgues des églises caennaises — Deux organistes titulaires, Alain Bouvet et Erwan Le Prado, ont l'honneur de jouer fréquemment sur l'impressionnant orgue de l'église Saint-Étienne.

Envie d'afficher votre publicité ?

Contactez-nous

Les entendez-vous rugir dans les églises ? À Caen, les orgues sont un patrimoine exceptionnel qu'il convient de préserver avec minutie. "La municipalité est très sensible à cette question", se réjouit Emmanuel Foyer, facteur d'orgue caennais, c'est-à-dire qu'il construit et surtout répare cet instrument. La Ville prend notamment bien soin de celui de l'église Saint-Étienne, "véritable joyau", glisse Patrick Nicolle, maire adjoint chargé de la culture.

Datant de 1885, il s'agit d'un Cavaillé-Coll, un facteur prestigieux. "Son prix est inestimable, des étrangers viennent même le visiter", constate Alain Bouvet, organiste cotitulaire de cette abbatiale. Un orgue si important qu'il convient alors de le maintenir en état. En 1999, une grande restauration a été lancée : 12 000 heures de travail, soit un an et demi, et 3 millions de francs auront été nécessaires pour lui redonner de sa superbe. Mais tous n'ont pas eu cette chance. À Saint-Jean, le grand orgue construit à la fin des années 60 n'a jamais été relevé, un relevage étant un grand nettoyage des tuyaux et une réfection de l'ensemble. "Normalement, on doit en effectuer un tous les 25 ans", regrette Jean-Luc Fricou, l'organiste titulaire. Alors, les oreilles les plus précises entendront quelques fausses notes.

"Si nous étions vraiment rigoureux, on ne jouerait pas dessus. À la place, nous acceptons son état fatigué", poursuit le musicien. Cependant, la municipalité affirme que le relevage de cet orgue est dans les tuyaux, tout comme celui de l'église Saint-Pierre, installé en 1997. Auparavant, cette église avait possédé un Nicolas Lefèvre puis un Cavaillé-Coll, tout comme l'église Saint-Étienne, les deux "se tirant la bourre" pour avoir le plus bel instrument en son sein, s'amuse Marianne Levy-Noisette, organiste de Saint-Pierre.

Victimes collatérales

Elle s'est d'ailleurs battue pour la construction d'un nouvel orgue, alors que l'ancien "s'était ramassé le clocher sur la figure pendant les bombardements de 1944". La guerre, qui a grandement endommagé le patrimoine caennais, comme à Saint-Jean, aussi victime. Seul l'orgue de chœur, plus petit, est resté debout. "Quand j'ai relevé l'instrument, j'ai remarqué qu'un tuyau visible depuis l'extérieur avait été réparé en forme de chaussette", se rappelle Emmanuel Foyer. Il apprendra plus tard que cette réparation "avec les moyens du bord" avait été effectuée pendant l'Occupation, probablement par un Allemand ! "Je me suis dit que ça faisait partie de l'histoire, alors j'ai laissé cette trace. Je trouvais ça beau que quelqu'un prenne soin de l'orgue, même pendant la guerre", conclut le facteur aux petits soins des instruments.

Ils font résonner au quotidien l'instrument

Un orgue, c'est joli, mais ça sert surtout à jouer de la musique.Des organistes témoignent de leur passion pour cet instrument.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on trouvait des orgues dans presque toutes les églises ? "L'orgue était utilisé notamment lors de massacres de chrétiens pendant les jeux du cirque, à l'époque romaine, il a donc longtemps été interdit dans les églises", renseigne Marianne Levy-Noisette, organiste titulaire de Saint-Pierre depuis 1985. Puis, au fil des ans, il a fait son apparition au sein des édifices religieux, aidé de ses capacités hors norme. "C'est un instrument qui tient les sons indéfiniment", explique Jean-Luc Fricou, organiste de Saint-Jean. "Un orgue remplace un orchestre à lui tout seul, il peut imiter une trompette comme une flûte", poursuit sa consœur. Installée derrière un orgue un peu par hasard, cette dernière s'est prise de passion pour cet instrument à force de jouer dessus, étant plutôt claveciniste de formation. Mais attention, rien à voir avec un piano, l'orgue est un instrument à vent, fonctionnant comme une géante flûte de pan mécanisée !

Alain Bouvet, organiste cotitulaire de Saint-Étienne, se rappelle encore de sa découverte de l'instrument. Il écoutait en boucle ses CD de grands musiciens et a dû attendre de nombreuses années pour voir et entendre un orgue en vrai, à Flers. "Je me suis alors dit 'Il faut que je sache comment ça marche'", se souvient-il. Après bien des années pour maîtriser la complexité de l'orgue, le voilà derrière le clavier de l'imposant Cavaillé-Coll de l'Abbaye aux Hommes. "Cette première fois en 1985 est encore et toujours mon meilleur moment avec un orgue." Nul doute qu'Alain Bouvet sera de la partie pour le 19^e festival international des orgues de Caen qui se déroulera jusqu'au mardi 13 juin (voir page 11).

La relève est-elle assurée ?

Passionnée par son instrument et la magie de ses sons, Marianne Levy-Noisette, professeure au conservatoire du Mans, se dit pessimiste. La raison ? Une durée d'apprentissage trop longue et une absence de professionnalisation. Son rôle d'organiste titulaire, assurant la liaison entre la ville et l'église en ce qui concerne l'état de l'orgue, est effectué à titre bénévole. "Nous sommes payés avec un sourire, complète Jean-Luc Fricou, heureux de faire vivre l'instrument et de partager des chefs-d'œuvre avec les auditeurs. Même si c'est un échange de bons procédés puisque nous pouvons venir nous entraîner sur l'orgue en échange."*. Alain Bouvet illustre, lui, un "engouement formidable depuis une quinzaine d'années", expliqué par la possibilité de jouer de l'orgue en dehors des offices religieux sans déranger, les églises étant beaucoup moins fréquentées par les fidèles. Il existera toujours une niche de véritables musiciens passionnés pour faire vibrer les pierres des églises.

Quelques chiffres à propos des orgues de Caen

Apprenez-en plus sur les orgues de la ville avec quelques chiffres.

3 500

C'est le nombre de tuyaux qui composent l'orgue majestueux de l'église Saint-Étienne. Chaque tuyau émet un son différent, offrant donc une grande variété au musicien.

700 000 euros

Transposé en monnaie actuelle, le nouvel orgue de l'église Saint-Pierre, installé en 1997, a coûté 700 000 euros. L'achat de ce Jean-François Dupont a en grande partie été financé par la Ville.

230 000 euros

Cela représente la somme allouée par la mairie caennaise jusqu'à la fin du mandat de Joël Bruneau pour relever certaines orgues. En outre, 12 000 euros sont investis chaque année pour la maintenance courante, assurée principalement par Emmanuel Foyer.