Un paradis de verdure se cache derrière les grilles blanches du 35 rue de la Demi-Lune à Alençon : en cette saison printanière, des massifs de pivoines sont en fleurs, les rosiers pointent leurs boutons vers le ciel, les premières pousses voient le jour dans le potager et les arbres à fruits rouges promettent une récolte abondante. Mais la majeure partie de ce havre de paix est faite de pommiers et de poiriers, en rangs serrés.
350 variétés de pommes
Saisi par ce spectacle inédit en pleine ville, on cherche le maître des lieux. Bernard Coulon n'est ni dans la boutique ni dans la jolie maison ancienne qui borde le jardin : "Je l'entends arriver", annonce sa femme. Précédé par le cliquetis de sa béquille, l'homme à la silhouette voûtée par le travail de la terre apparaît au détour d'une allée.
Il ne pouvait pas en être autrement : à presque 85 ans, l'ancien pépiniériste n'a jamais raccroché la veste : il continue à passer le plus clair de ses journées dans ce jardin de 4 000 m2, acheté par son père il y a presque un siècle et qu'il a lui-même presque entièrement replanté en 2008 pour continuer à faire prospérer sa collection quand son activité a pris fin. Aujourd'hui, le verger compte 350 variétés de pommes différentes, 200 de poires et une cinquantaine de fruits à noyaux, tous soigneusement étiquetés.
"Travailler la terre
aide à relativiser
beaucoup de problèmes"
Cela fait sept décennies que l'homme travaille cette terre avec ferveur : "Des sept enfants de notre famille, je me suis tout de suite montré le plus intéressé, se souvient-il. En cette période de l'après-guerre, il y avait toujours quelque chose à faire – donner de l'herbe aux lapins, ramasser du bois… – mais j'en faisais peut-être un peu plus, et c'est à moi qu'on demandait de rentrer les fruits dans la cave en hiver." A 14 ans, c'est donc naturellement à lui que son père demande de venir l'aider. "Ça a été dur d'arrêter l'école…, évoque sans s'attarder celui qui a grandi à une époque "où on ne se plaignait pas". "Mais il avait besoin de moi. J'aurais de toute manière fini par exercer ce métier."
Les bonnes dispositions scolaires de ce littéraire lui rendront cependant service : "Ma mémoire assez exceptionnelle et ma connaissance du latin et du grec me permettaient de retenir des centaines de plantes et leurs noms botaniques." Son père étant décédé, c'est en 1961, à son retour de la guerre d'Algérie, que le jeune homme reprend l'entreprise.
En bon collectionneur, Bernard Coulon continue à étoffer sa collection, quitte à greffer plusieurs variétés sur un même pied, faute de place. "Ce qui me passionne, c'est de maintenir des choses qui disparaîtraient sans ce travail. Non pas pour les garder pour moi comme dans un coffre-fort, mais pour les partager." Pour rien au monde il ne regrette cette vie au plus près de la nature : "Travailler la terre aide à relativiser beaucoup de problèmes et apprend la modestie : on se donne beaucoup de mal et cela ne réussit pas tout le temps. On doit chercher à obtenir le meilleur résultat tout en acceptant les échecs, qu'ils soient dus à la météo ou à nos propres négligences", témoigne le vieil homme qui sait la valeur du dicton qu'il nous cite : "Pour commander à la nature, il faut commencer par lui obéir."
Le goût de la rencontre et de la transmission
Bernard Coulon ouvre régulièrement les portes de son jardin au public, avec qui il aime partager sa passion pour les différentes variétés de fruits.
"Vente de fruits du verger - Visite du jardin – entrée libre", indique le panneau que Bernard Coulon installe régulièrement l'après-midi, surtout à la belle saison. "J'ai conscience d'avoir quelque chose d'agréable à regarder en centre-ville, et cela me tient à cœur d'en faire profiter."
Jardin d'agrément
Les promeneurs peuvent admirer sa collection d'arbres fruitiers, mais aussi les massifs fleuris, le potager, la vigne et le jardin d'agrément, avec ses rhododendrons et autres érables du Japon. Les "cocoricos" du poulailler achèvent de donner cet air de campagne à la ville. Véritable puits de science sur les différentes variétés, le maître des lieux aime transmettre sa passion. Dès la récolte des variétés précoces, il vend aussi ses pommes en direct, qu'il pèse sur une vieille balance à poids. Une visite qui ne manque pas de charme.
Un témoin privilégié de l'histoire d'Alençon
Né à Alençon, l'octogénaire a toujours vécu et travaillé rue de la Demi-Lune. Il a vu la ville changer au cours des décennies.
En huit décennies à Alençon, Bernard Coulon a vu changer la ville : "Ah ça, oui !", s'exclame-t-il. Un à un, les souvenirs remontent : "Toute mon enfance, je me suis réveillé au son du clairon puisqu'à la place de l'hôtel du département, se tenait une caserne militaire." C'est l'époque du "quartier Valazé", où se succédèrent un régiment de cavalerie, puis différents corps d'armée. Celui-ci fut rebaptisé plus tard "quartier Maréchal Lyautey", en hommage à celui qui fut à Alençon, en 1903, le colonel du 14e régiment de Hussards. Le Département y a installé ses services en 2000.
À cheval
"Quant au Crédit Agricole, c'était une ferme." Jeune homme, Bernard Coulon se rendait souvent à Courteille, où l'entreprise avait une autre pépinière : "Nous allions y travailler à cheval. Route de Paris, nous traversions des champs."
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