Appelez-le Frank Tatouage. Le professionnel de 57 ans et son art sont tellement indissociables qu'il préfère omettre son patronyme. Le petit Frank, "sans le C", il y tient aussi, voit le jour dans la cité Océane au cœur des années soixante. Il grandit à Caucri. "J'ai connu la construction du quartier. Il y avait deux tours avec, au milieu, un terrain vague et des moutons en bas de chez moi." En classe de sixième au collège Eugène-Varlin, un professeur d'arts plastiques remarque son talent pour le dessin et lui offre un livre signé Bruno, pionnier parisien d'une discipline encore confidentielle à l'époque. "Je dois à cet enseignant le fait d'être tatoueur aujourd'hui !"
Son premier tatouage dès 13 ans
C'est à peu près à cette époque que Frank, incapable désormais d'en chiffrer le nombre sur son corps, se fait faire son premier tatouage. "J'ai commencé à 15 ans. Sur l'avant-bras. Une femme des années soixante, une pin-up, avec des fleurs et une banderole qui indique le nom de ma copine de l'époque. Qui est toujours la même aujourd'hui !", glisse-t-il dans un sourire tendre à sa compagne Laurence, assise à proximité alors que nous réalisons cet entretien. L'émotion donne visiblement de la force au souvenir, car il précise ensuite : "C'était mon premier tatouage à la machine. Car en ce temps-là, la plupart des tatouages se faisaient manuellement, par des copains. Tu sais, les fameux tatouages bleus. Le tout premier du coup, à 13 ans, c'était mes initiales, un truc tout bête."
En octobre 1986, Frank ouvre son premier magasin sur la sulfureuse place Danton. "Quand je suis arrivé, il y avait encore toutes les nanas qui tapinaient dans la rue, la prison, les bistrots où se croisaient les mécanos du garage d'à côté qui discutaient avec les filles, les macs. C'était folklorique. J'avais comme clients les dockers, les marins, les taulards, les militaires. Il y avait toute une faune exceptionnelle dans ce quartier. J'ai adoré. J'y suis resté plus de 20 ans."
Au fil du temps, son art évolue. "Au début, je me cantonnais à reproduire des dessins existants. Mais je suis rapidement passé à des tatouages personnalisés. Je prenais mon feutre, je traçais directement sur les gens. Et je me suis aperçu que les modèles uniques plaisaient beaucoup. J'ai construit ma réputation là-dessus." Ce qui ne l'empêche pas, à la demande, de céder aux tendances, influencées aujourd'hui par les réseaux sociaux, selon Frank.
Une nouvelle boutique près de Coty
En 2006, alors que le quartier Danton se vide avec le départ de la prison vers Saint-Aubin-Routot, Frank décide de déménager vers la très vivante et populaire rue Aristide-Briand. Mais Le Havre évolue perpétuellement. "Le quartier est en train de mourir. C'est pour cela qu'on a ouvert une boutique supplémentaire, rue Édouard-Corbière, en mars dernier. Le lieu est en pleine mutation avec l'ouverture de la halle gourmande à proximité. Il y a aussi Coty, la mairie pas loin. Il y a beaucoup de jeunesse. Ça s'est un peu perdu sur Aristide-Briand." Ironie du sort, ce pas-de-porte était le premier sur lequel il avait jeté son dévolu en 1986. "Les propriétaires n'ont jamais voulu me louer le magasin car je voulais y faire du tatouage." Mais la perception de sa discipline, jadis mal vue, est devenue plus 'mainstream'. "Je suis un peu nostalgique. À l'époque, le tatouage était une revendication. Chaque dessin avait une histoire, une signification. Mais le côté purement artistique est aussi plus présent aujourd'hui."
Peur d'avoir mal ?choisissez la bonne partie de votre corps
La peur de l'aiguille.
Est-ce que ça fait mal ? "Oui et non, jauge Frank. Tout dépend de la zone du corps. Il y en a pour lesquelles c'est beaucoup plus supportable que pour d'autres. Les bras, par exemple, ça va, par rapport aux côtes, l'intérieur des cuisses ou derrière les genoux. Ça dépend aussi de la durée. Deux heures de séance ou huit, ça n'est pas la même chose." Une œuvre qui couvre le dos d'un client peut par exemple demander jusqu'à 50 heures de travail. Et le prix ? "Il faut compter entre 100 à 200 euros de l'heure", selon le professionnel.
Demandes insolites
"On m'a demandé tellement de trucs fous !" s'exclame Frank. "Il y a tout ce qui est sexuel. Je parle là de la partie du corps sur laquelle je fais le tatouage. Mais j'ai moins cette demande, maintenant. Depuis des années, le piercing a pris le dessus dans ce domaine."
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