Il faut s'y connaître pour savoir que cela existe. L'entrée se fait sur un terrain vague, face à l'ex-Ligue de Basse-Normandie de football, avenue Nelson-Mandela, dans le quartier de Beaulieu de Caen. En descendant quelques mètres, il est possible d'accéder à l'une des carrières souterraines de la ville. Casque de chantier vissé sur la tête, vous voilà à 14 m de profondeur.
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Pour la première fois, ce patrimoine en sous-sol est ouvert au public. Une fois la porte blindée passée, que seuls des guides peuvent ouvrir, l'atmosphère est tout autre. Pas plus de 12 °C, de l'humidité entre 70 et 90 % et des lumières qui éclairent un parcours sinueux de 700 mètres de long.
Frédéric Coyer est le responsable du pôle carrières de la Ville de Caen. - Léa Quinio
Il est difficile d'imaginer que l'on peut parcourir sous terre un trajet de l'avenue Nelson-Mandela jusqu'à l'arrière du Super U de Beaulieu. Pourtant, l'histoire dit qu'il existe 80 hectares de carrières à Caen, dont 40 à ciel ouvert et l'autre moitié en sous-sol. "Dire que Caen est un gruyère est faux. Cela représente à peine 3 % de la surface de la ville de Caen", pose d'emblée Frédéric Coyer, responsable du pôle carrière de la Ville. Ce service a vu le jour en 1955, à la suite de nombreux incidents de sol qui se sont produits à l'est de Caen, notamment dans le secteur du CHR. Il a permis de répertorier quasiment 98 % des carrières connues sur le territoire.
Pierre de Caen, chauves-souris et stalactites
Au-delà d'être méconnus, ces sous-sols sont chargés d'histoire. Avant de servir de refuge pendant la guerre, ces carrières ont en effet profité au duc Guillaume Le Conquérant dès le XIe siècle pour la construction du château et des abbayes (l'abbaye aux Dames et l'abbaye aux Hommes). Au cours de la visite, il suffira de lever la tête pour apercevoir un ou plusieurs puits.
L'occasion pour Frédéric Coyer de raconter les techniques d'extraction de la pierre de Caen de l'époque. Malgré la pénibilité du travail, "les carriers descendaient à l'échelle ici, sur la partie gauche. Ils ressortaient des blocs d'une tonne à la main, sans l'aide d'animaux".
Si la pierre de Caen est la plus connue, il existe d'autres calcaires dans la région depuis la période du Jurassique. - Léa Quinio
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En regardant en l'air, vous apercevrez par endroits des cavités profondes naturelles. Elles servent d'abris pour les chauves-souris. "On compte environ 125 espèces. Les chauves-souris se reproduisent en septembre/octobre, puis elles hibernent dans ces refuges jusqu'en avril/mai." Plus loin, vous vous arrêterez devant un panneau "carrefour des cœurs". "C'était un lieu de rencontre pendant la période d'entre-deux-guerres et d'après-guerre. Les amoureux descendaient par les puits pour se bécoter", sourit le passionné.
En levant les yeux, les visiteurs pourront tomber sur quelques vestiges d'animaux morts. - Léa Quinio
En s'enfonçant dans la pénombre, vous pourrez aussi découvrir des stalactites. "Lorsque la surface au-dessus est urbanisée, il n'y a plus d'infiltration d'eau et donc moins de stalactites." Sous les zones très humides, les stalactites peuvent grandir de 3 à 4 cm par siècle. Les plus observateurs pourront noter la présence de formes animales dans les pierres : il s'agit de fossiles marins puisque la pierre s'est formée en milieu marin. Ici, une ammonite est incrustée dans le plafond de la carrière. Des ossements d'alligator ont même été découverts au XIXe siècle. Demi-tour : après 1 h 30 de visite, les souterrains de Caen n'ont plus de secret pour vous.
La pierre de Caen, une mine d'or
La renommée de la ville de Caen tient aussi à sa pierre. Elle a été utilisée pour de nombreux édifices, caennais et étrangers.
En vous baladant dans le centre-ville, la blancheur des bâtiments vous a forcément frappé. La ville le doit à sa pierre de Caen, si riche et rare, extraite des carrières souterraines dès l'Antiquité. C'est dans les constructions de Vieux-la-Romaine qu'elle a été exploitée au départ. Au fil des siècles, cette pierre de Caen a servi à la construction de nombreux édifices patrimoniaux à Caen. À commencer par le château (le donjon et ses remparts) du Duc Guillaume, l'abbaye aux Dames et l'abbaye aux Hommes, les églises Saint-Pierre, Saint-Jean, Saint-Nicolas, la tour Leroy et même le Mémorial.
Un trésor à polir
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Cette pierre "qui reste fragile car c'est une pierre sédimentaire" a de nombreux atouts. "C'est une pierre fabuleuse, très lumineuse et qui, quand elle est rénovée, retrouve une blancheur incroyable", vante Frédéric Coyer, responsable du pôle carrières de la Ville de Caen. Cette pierre, qui fait la fierté des équipes municipales et des habitants de manière générale, a des qualités qui sont reconnues au-delà des frontières caennaises. En France, déjà, elle a été utilisée pour les arcades du cloître de l'abbaye du Mont Saint-Michel, la cathédrale Notre-Dame du Havre, au palais du commerce à Rennes ou encore à l'abbaye de Beauport, avant de traverser la Manche pour aller conquérir des marchés internationaux. "Le premier à avoir exporté la pierre de Caen a été Guillaume le Conquérant en Angleterre, alors qu'ils ont une pierre assez similaire, rembobine Frédéric Coyer. Il a fait construire pas mal d'édifices comme la tour de Londres, des églises et des abbatiales pour asseoir, entre autres, son autorité et son administration." Outre la tour de Londres, les touristes peuvent découvrir la pierre de Caen sur la fameuse abbaye de Westminster, le château d'Oxford mais aussi le très réputé palais de Buckingham. L'exportation de la pierre de Caen ne s'arrête pas là. Elle a servi aussi à l'aménagement d'autels d'églises, sur quelques monuments de New York par exemple, mais d'autres destinations ne sont pas en reste : la Belgique, l'Allemagne et plus récemment l'Arabie saoudite. Pour résumer, elle est recherchée partout dans le monde, mais pas à n'importe quel prix. "La pierre de Caen est une pépite, c'est comme un trésor, continue le spécialiste. Si on la compare à du marbre italien, on s'en approche." À l'époque, cette pierre était vendue environ 1 000 €/m3 hors taxes. Travaillée par des tailleurs de pierre ou des sculpteurs, elle peut désormais coûter 3 000 €/m3. "C'est une pierre avec une forte valeur ajoutée", martèle Frédéric Coyer. Si bien qu'aujourd'hui, elle sert de produit de luxe pour les villas de milliardaires en Floride ou encore dans de petites quantités en Inde et en Chine.
Visiter les sous-sols : un enjeu touristique indéniable pour la Ville
En ouvrant ses carrières souterraines au grand public, la Ville de Caen souhaite en faire une visite incontournable pour les habitants et les touristes.
Trois mandats
Découvrir le patrimoine souterrain de la ville de Caen a été pensé dès l'époque de Philippe Duron, avant de devenir réel en 2023. "C'est une chance de pouvoir ouvrir ces carrières au grand public, c'était très attendu (1 200 demandes ont été traitées à l'ouverture des visites, ndlr)", précise Ludwig Willaume, adjoint au maire en charge des espaces publics.
Budget
Pour rendre ces carrières souterraines accessibles au public, la Ville de Caen a dû réaliser de nombreux aménagements. Un grand travail de mise aux normes de sécurité et d'accessibilité (notamment pour les personnes à mobilité réduite) a été entrepris pour une enveloppe de 300 000 €. Il a été totalement réalisé en interne, par les agents de Caen la Mer.
Attractivité
La Ville envisage de faire de ces carrières un incontournable dans le circuit touristique des visiteurs. "L'objectif est de faire revenir les Caennais dans le berceau de leur ville et expliquer aux touristes notre histoire, poursuit l'élu. Il y a aussi la carrière de Fleury-sur-Orne, la glacière de la rue d'Authie. On travaille à créer une offre de visite sur l'ensemble de ces lieux atypiques."
Visites
Les premiers créneaux de visite se sont arrachés très vite. C'est pourquoi la Ville de Caen a ouvert de nouvelles dates. Huit visites supplémentaires sont programmées : le vendredi 9 juin, à 9 h 30, 11 h 30, 14 h 30 et 16 h 30, le jeudi 15 juin, à 9 h 30 et 11 h 30 et enfin le samedi 26 août à 14 h 30 et 16 h 30. Il faut réserver sur le site de l'office de tourisme. La visite dure 1 h 15 et ne convient pas aux moins de 12 ans.
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