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Histoire. Faire vivre la mémoire des victimes de l'esclavage au Havre

Commémoration. Petit à petit, Le Havre lève le voile sur une part sombre de son passé. Une victoire pour Anaïs Gernidos et son combat pour la mémoire.

Histoire. Faire vivre la mémoire des victimes de l'esclavage au Havre
Anaïs Gernidos, présidente de l'association Havre Mémoires et Partages,devant la plaque commémorative de l'abolition et de la traite négrière quai Guynemer

"Je suis Martiniquaise et Havraise d'adoption", se décrit d'emblée Anaïs Gernidos. Née à Fort-de-France en 1955, elle arrive en 1978 dans la cité Océane pour faire ses études à l'IFEN. Une fois son diplôme d'éducatrice en poche, elle travaille auprès de jeunes en difficulté. Puis, elle se marie en 1986 et donne naissance à deux enfants, en 1988 et 1991. "Mon idée au départ, c'était de repartir." L'acclimatation dans la cité Océane n'a en effet pas été simple. "Je ne m'attendais pas à vivre ce choc physique et mental entre les Antilles et la France", se souvient-elle avec émotion. La Martinique n'est pas la France ? "Ah non ! C'est un espace géographique spécifique, dans la Caraïbe. C'est l'histoire qui a fait que nous sommes devenus Français, par une volonté de conquête et de prédation."

Le Havre, à la pointe
du commerce triangulaire

Voilà qui pose les bases de ce qui anime Anaïs Gernidos. Elle précise toutefois qu'elle a toujours été "fière d'être Française, mais aussi et avant tout Caribéenne et issue de la rencontre de peuples de l'Europe, l'Afrique et l'Amérique". On identifie ici le schéma du commerce triangulaire, celui de la traite négrière, qui est enseigné en cours d'histoire à l'école. Un sujet qu'elle découvre en métropole. "Pendant mon enfance en Martinique, il y a un silence assourdissant. On ne parle pas de cela. On intériorise la bonne éducation bourgeoise pour ne pas finir ouvrier agricole dans la canne à sucre, pour ne pas être un 'nègre'."

"Je découvre qui je suis ici, dans le regard des autres. On me demande d'où je viens, quelles sont mes origines." Un questionnement qui l'ébranle. Mais elle ira de surprises en surprises. "J'étais loin de me douter que j'étais dans une ville qui a participé à la traite négrière." À la différence de cités comme Nantes ou Bordeaux, ce passé sombre de la Porte Océane a longtemps été ignoré. Pour Anaïs Gernidos, cela peut s'expliquer. "Le bombardement de 1944 a tout effacé. Quand il n'y a pas de traces, les gens ne peuvent se souvenir." Il y a bien la plaque dévoilée en 2009 (surélevée d'une stèle en 2019) sur le quai Guynemer. Mais le récit des faits reste confidentiel. Pour elle, l'onde de choc de la mort de George Floyd aux États-Unis et l'émergence du mouvement Black Lives Matter en mai 2020 ont fait bouger les lignes.

Impliquée dès son arrivée en métropole au sein du Groupe culturel antillais du Havre, elle s'interroge sur l'implication havraise dans la traite négrière pendant ses études, puis dans le cadre de son travail, au fil des rencontres. En 2009, elle est approchée par l'association Mémoires et Partages basée à Bordeaux, dont elle prendra la présidence de l'antenne havraise en 2020. Ce long processus aboutit à l'organisation de visites guidées à partir de l'été 2021. De nouveaux rendez-vous sont proposés cette année, dès le 13 mai prochain.

200 000 esclavages traités
dans les ports de Normandie

Quelques chiffres suffisent à imaginer la position centrale du Havre dans le pôle normand de l'esclavage entre les XVIe et XIXe siècles. "On dénombre 700 expéditions. La finance, avec les banques, était à Rouen. Et la logistique maritime était ici, avec 150 000 captifs traités dans la Porte Océane et 50 000 supplémentaires à Honfleur, car la rade du Havre était devenue trop petite." Une exposition mémorielle voulue par les municipalités sera inaugurée dans les trois villes ce mercredi 10 mai.

Une expo en trois lieuxpour se souvenir d'un passé douloureux

Le Havre. Une expo en trois lieuxpour se souvenir d'un passé douloureux
L'exposition sur l'esclavage sera inaugurée le mercredi 10 mai.

Le Havre, Rouen et Honfleur accueillent simultanément une exposition sur la traite négrière.

C'est une grande première. Le mercredi 10 mai, journée nationale des mémoires de la traite et de l'esclavage et de leur abolition, sera inaugurée l'exposition "Esclavage, mémoires normandes". L'événement permet, selon ses organisateurs, "un premier état de la connaissance scientifique" sur l'implication normande dans la traite négrière entre le XVIe et le XIXe siècle.

Du 10 mai au 10 novembre

Il se déroule en trois lieux, jusqu'au 10 novembre : à l'Hôtel Dubocage de Bléville au Havre, au musée Eugène Boudin de Honfleur et au musée de la Corderie Vallois de Rouen. Anaïs Gernidos a été consultée pour ce projet et participera à l'inauguration. "Rien ne pourra changer le passé. Mais on peut honorer la mémoire et remettre en question notre manière de penser, héritée de ce passé esclavagiste", souffle-t-elle en formant un vœu pour l'avenir.

Le récit de l'histoire permet de réconcilier les individus

Le Havre. Le récit de l'histoire permet de réconcilier les individus
Une plaque dévoilée le 10 mai 2009 retrace ce passé peu glorieux de la ville du Havre.

Le Havre a fait le choix de garder le nom de négriers pour ses rues.

Anaïs Gernidos n'était pas très à l'aise à l'idée de révéler, par son travail, le passé peu glorieux de grandes familles havraises. "Il fallait dire des choses qui sont tues depuis si longtemps. Lors d'une des premières visites guidées, des descendants d'un armateur négrier sont là. Les uns comme les autres, nous sommes très mal à l'aise au début. Finalement, on a réussi à tisser des liens."

Contextualiser plutôt qu'effacer

Plusieurs rues au Havre portent le nom de négriers. "Toutes ces personnes sont honorées comme des explorateurs, des conquérants, des bienfaiteurs. On est piégés par notre imaginaire", analyse Anaïs Gernidos, qui souhaite, comme la mairie, "ne pas effacer la mémoire". Elle prône cependant l'installation de panonceaux explicatifs dans les artères concernées, plus visibles et pratiques, selon elle, que les QR codes envisagés par la municipalité.

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