[Dossier] Patrimoine. La synagogue d'Elbeuf bientôt sauvée

Moyen-Âge

L'arrivée des premiers juifs en Normandie gallo-romaine remonte au IV^e siècle. Une deuxième vague d'exilés juifs arrive à Rouen au XVII^e. Appelés aussi les marranes, ces juifs exilés d'Espagne et du Portugal, convertis de force au christianisme, vivent alors leur judaïsme en secret. Parmi eux, s'installe à Rouen le poète Joao Pinto Delgado, marrane rouennais qui renoue avec le culte hébraïque.

Expulsions

Un "pogrom" est lancé en 1096 ravageant tout le quartier juif de Rouen au moment des premières croisades. Les juifs rouennais comme tous ceux du territoire français sont expulsés à nouveau sur ordre de Philippe le Bel, roi de France, en 1306.

Population actuelle

Victimes d'allers et retours à Rouen au fil des turbulences de l'histoire, les juifs rouennais sont peu nombreux aujourd'hui. "Il y a à peu près 200 familles juives à Rouen, ce qui représente environ 700 personnes", précise Alain Pépin Karsenty, secrétaire et trésorier de la synagogue de Rouen.

Hommage aux victimes des rafles

Depuis 2020, plus de 80 pavés de mémoires, dits "Stolpersteine", ont été enterrés dans le sol devant le domicile des victimes des déportations juives et tsiganes à Rouen pendant l'Occupation. C'est l'artiste berlinois Gunter Demnig qui est à l'origine de ce projet. Il y a ainsi plusieurs milliers de pavés de mémoire à travers une vingtaine de pays de d'Europe.

C'est sans doute l'un des vestiges les plus monumentaux du patrimoine juif à Rouen. La "Maison Sublime", découverte de manière fortuite en 1976, lors de travaux de restauration dans la cour du palais de justice, est, encore aujourd'hui, la seule preuve matérielle de la présence juive à Rouen au Moyen-Âge. "Un premier édifice va être découvert le 11 août 1976, une cave romane, puis les archéologues découvriront, deux jours plus tard, un deuxième monument caché sous les pavés de la cour, explique Laëtitia Versavel, chargée de médiation culturelle pour Rouen Normandie Cité Monument. Il a été daté du XII^e siècle, c'est qui fait de lui le plus ancien monument juif de France jamais redécouvert."

C'est cet édifice qui va attirer l'attention des chercheurs du monde entier, le palais de justice ayant été construit à l'emplacement de l'ancien quartier juif, d'où le nom de la rue "Aux Juifs" qui borde l'institution. Mais ce qui a définitivement convaincu les historiens de l'appartenance du monument à la communauté, c'est cette dizaine de graffitis hébraïques retrouvés à l'intérieur. Seize au total. "Parmi eux, figure une inscription qui a été traduite par 'Maison Sublime', c'est donc pour cela que le bâtiment a pris ce nom", poursuit la guide conférencière. Il s'agit également d'une référence à un verset du livre des Rois, c'est-à-dire la Bible.

Si, désormais, tout le monde s'accorde à dire que le monument est bien juif, l'usage de la "Maison Sublime" semble être encore un mystère. Dès 1976, plusieurs théories émergent. "Il y a tout d'abord, celle de l'école rabbinique (défendue par le rabbin de Rouen, lui-même, Chmouel Lubecki), un lieu d'étude où l'on enseigne notamment le Talmud. Il y a aussi des historiens qui défendent la thèse de la synagogue et d'autres celles de la résidence privée."

Rouen, place forte de la communauté
au Moyen-Âge

Les sols montant au fil des siècles, le monument protégé sous une crypte se trouve à 2,50 mètres en dessous du niveau du sol actuel. "Là, nous sommes sur le sol du XII^e siècle", précise Laëtitia Versavel. Faite de pierres calcaires issues de la vallée de la Seine, cette maison fait partie d'un ensemble de bâtiments appartenant à la communauté juive très présente à cette époque de l'histoire. "Dans ce quartier, il y avait les édifices communautaires autour desquels la communauté se rassemblait, sans doute la synagogue, les écoles, les commerces kasher ou encore les bains rituels", poursuit la guide.

Rouen était ainsi une place forte de la communauté, à l'instar de ces savants venus séjourner dans la capitale normande tels que Rabbi Abraham Ibn 'Ezra, considéré comme l'un des plus grands savants juifs du Moyen-Âge, ou encore Rabbi Shmouel Ben Meïr, autre illustre savant de la communauté juive médiévale. D'autres trésors juifs, encore cachés sous le sol rouennais, pourraient être découverts. "On peut tout envisager, les sols de Rouen sont riches, on peut en effet imaginer que dans le cadre de nouveaux travaux, de nouvelles choses ressurgissent", confirme Laëtitia Versavel.

La nouvelle synagogue de Rouen, située rue des Bons-Enfants, a connu plusieurs vies et propriétaires. "À la base, c'était une église qui avait été cédée aux 'Israélites' de Rouen, comme ils disaient à l'époque, pour pratiquer leur culte", explique Alain Pépin Karsenty, secrétaire de la synagogue de Rouen. L'édifice nommé Sainte-Marie-la-Petite était donc chrétien avant d'atterrir dans les mains de la communauté juive en 1864.

La reconstruction après la guerre

Mais à l'arrivée des Allemands à Rouen, pendant la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment est réquisitionné pour devenir un dispensaire. "Les Allemands avaient mis dans cette synagogue des blessés, des malades, etc." La synagogue a été entièrement détruite sous les bombes des alliés lors de la Semaine rouge, en 1944, avant le Débarquement, puis reconstruite en 1950 par l'architecte François Herr, telle qu'on la connaît aujourd'hui. Sa particularité réside notamment dans ses vitraux, érigés par le peintre et maître verrier Gabriel Loire. La synagogue possède aussi de magnifiques rouleaux sacrés de la Torah. "Chaque semaine, on en lit une section, de sorte qu'à la fin de l'année hébraïque, on a fini de lire toute la Torah, explique le rabbin de Rouen, Chmouel Lubecki. Il s'agit de dons de familles juives." Sur place, une exposition, labellisée "Actions Mémoire 2022", retrace d'ailleurs les 1 000 ans d'histoire juive à Rouen et en Normandie.