Le regard profond et la mine sérieuse de la jeune femme à la chevelure flamboyante au moment de poser devant l'objectif, ou le logo aux accents rock dessiné par son compagnon. Quelques détails trahissent la vie passée des deux fondateurs de La Ferme sans nom, quand ils partaient en tournées, Juliette Mauduit en tant que chanteuse basée à Bruxelles, et Sylvain Przybylski en tant que polyinstrumentiste, tournant à ses heures de la musique à l'image.
Paysans et indépendants
Leur quotidien a bien changé aujourd'hui, alors qu'ils nous reçoivent dans la pièce principale de leur petite ferme, dans un charmant village de la commune d'Athis-Val de Rouvre, en Suisse normande. À la faveur de la Covid et de leur rencontre improbable, aux portes ouvertes d'une association dans ce même village, tous deux sont devenus "semenciers". Mais pas de n'importe quelle manière : "Notre semencerie est paysanne et indépendante", affirme Sylvain, avec la flamme des militants. Vadrouillant quelque temps dans le monde rural comme ouvrier agricole, maraîcher ou éleveur, il s'était déjà mis à faire ses semences "en autodidacte" : "J'étais convaincu que l'autonomie et la résilience passent par la semence."
"Contribuer
à l'hyper-relocalisation
de toutes les activités humaines"
À leur connaissance, aucune autre entreprise ne respecte un cahier des charges aussi exigeant que celui qu'ils se sont fixé : "Nos semences sont issues de légumes que nous consommons et que nous goûtons nous-mêmes un par un ; elles ne sont brassées avec aucune autre, ce qui nous permet d'affirmer qu'elles sont adaptées pour croître au nord de la Loire ; elles sont bio, élevées sur sol vivant, sans irrigation artificielle. Le tout 100 % à la main, sans énergie fossile."
Depuis deux ans, Juliette et Sylvain n'ont pas pris un jour de vacances et ne comptent pas leurs heures. Ils travaillent à chaque saison, puisqu'à la période de production des légumes, succède celle de la production des semences, jusqu'à l'ensachage. Mais ils savent pour quoi ils se lèvent le matin. Parce que leur énergie est toute tournée vers un but : "Nous voulons contribuer à l'hyper-relocalisation de toutes les activités humaines, et venir à un système où l'on source la plus grande partie de nos besoins primaires et secondaires au niveau local." Leur rêve ? "Que nos semences ne partent pas vers la Corse ou vers Amsterdam, comme aujourd'hui, où nous sentons bien que nous touchons un public d'initiés, mais qu'elles soient cultivées par les jardiniers de notre région."
Ni l'un ni l'autre ne regrette cette nouvelle vie : "J'avais besoin de développer une activité qui soit vertueuse en termes d'utilité sociale", énonce Sylvain. Pour Juliette, native d'Alençon, ce retour à la terre est aussi un retour aux sources, puisque cette ferme qu'elle est souvent venue aider à retaper appartient à sa famille : "J'ai un amour très fort pour cette région, et je savais que j'y reviendrai." Si elle a eu des surprises, c'est surtout en termes de relations avec les autres : "En quittant la vie citadine, je m'attendais à une certaine solitude. En fait, je n'ai jamais eu une vie sociale aussi riche, et c'est heureux car, finalement, l'autonomie ne se gagne pas sans les autres."
Le combat de La Ferme sans nom
Juliette Mauduit et Sylvain Przybylski ont lancé, il y a bientôt trois ans, La Ferme sans nom, où ils produisent des semences sur sol vivant et promeuvent une paysannerie hyper locale et autonome.
École paysanne
Pour une paysannerie
décarbonée
Pour entraîner le plus possible de paysans dans leur sillage, Sylvain et Juliette ont lancé des modules de formation. Chaque mois, ils proposent d'explorer l'une des facettes de leur mode de culture, du fauchage à la main et de l'entretien de sa faux à "réussir ses semis", en passant par "la basse-cour en agroécologie" et "le compost à chaud". Des formations plus longues sont en phase de test. À terme, les paysans aimeraient former des professionnels prêts à se lancer.
Militantisme
Questions
de vocabulaire
Quand on est militant, le vocabulaire a son importance : quand ils cultivent leurs légumes, Juliette et Sylvain se voient plutôt comme des "éleveurs de vers de terre" que comme des maraîchers. Appelez-les aussi "paysans, c'est-à-dire artisans du pays ou du paysage" et non agriculteurs - "d'ailleurs, l'agriculture d'aujourd'hui est devenue de la pétroculture", relève Sylvain. Quant à la terre qu'ils cultivent, c'est un "jardin", terme qui dit mieux sa taille humaine.
"La Ferme sans nom"
Pourquoi
ce nom ?
"C'est un peu punk, on aime bien ça", sourit Juliette, qui raconte que cette ferme non baptisée lui a déjà valu des remarques peu amènes. Alors que la plupart des fermes reprennent le nom du lieu-dit où elles sont installées, "il y a un peu l'idée de recommencer de zéro". Ce nom, qui prétend ne pas en être un, est aussi un coup de com', "il faut bien le reconnaître !", complète Sylvain, le "marketeur" du couple : "On a beau militer pour d'autres formes d'organisations sociétales, on sait qu'on vit dans un monde où il faut tirer son épingle du jeu : un nom pareil, ça se retient !"
Semences
Où les
trouver ?
Les dix-huit références du catalogue de La Ferme sans nom sont à retrouver sur son site internet : lafermesansnom.com, avec la liste des magasins partenaires. Ces semences sont le fruit d'un long travail de sélection : "Nous cultivons des populations d'une variété existante et les sélectionnons pour leur résistance à la sécheresse et aux maladies, leur rusticité, leur qualité de garde et, bien sûr, leur goût. Année après année, nous accentuons les caractères que nous apprécions."
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