9 h 15, salle Alexis de Tocqueville au palais de justice de Caen. Une sonnerie retentit, la présidente de la cour criminelle du Calvados annonce : "L'audience est ouverte, nous pouvons nous asseoir !" À droite, le banc des parties civiles. En face, le banc des accusés. Au centre, vêtue de sa robe rouge, Jeanne Chéenne présente les différents acteurs qui prennent part au procès. Elle rappelle que la cour criminelle est composée de cinq magistrats professionnels, sans jury populaire, histoire d'enlever tout doute sur cette nouvelle juridiction.
9 h 30, place à la présentation de la personnalité et du parcours de vie de l'accusé. La présidente de la cour détaille ensuite le programme de la journée, telle une professeure des écoles, en rupture drastique avec la lourdeur du procès en cours. Un huis clos est demandé par l'une des parties civiles. "La cour ordonne le débat à huis clos !", s'exclame Jeanne Chéenne. Le public doit sortir. 9 h 32, le rappel des faits commence. Pendant presque vingt minutes, la présidente de la cour énumère les faits de viols reprochés à l'accusé d'une aisance surprenante, dans les détails les plus précis. L'ambiance est lourde.
Interrogatoires
et témoignages
9 h 50, l'accusé s'avance à la barre pour son interrogatoire. Des témoins s'installent tour à tour à la barre, puis les parties civiles sont auditionnées. S'ensuit un jeu de questions-réponses, marqué par des moments de silence. Quelques larmes aussi. La douleur des victimes surgit. Après une courte pause déjeuner, l'audience reprend. La salle se lève à l'entrée de la cour. Les témoignages s'enchaînent tout l'après-midi.
Jour 2, 9 h 15, Jeanne Chéenne revient sur des éléments du dossier. La défense demande de nombreuses relectures. La cour accuse du retard dans le procès, mais pas question de bâcler les débats. La cour diffuse quelques photos. C'est ensuite l'heure des plaidoiries. La procédure veut que les avocats des parties civiles débutent avant de laisser la parole à l'avocat général puis à l'avocat de la défense. C'est l'un des moments les plus impressionnants d'un procès à la cour criminelle. À l'issue des débats, les magistrats délibèrent. "J'estime à trois heures le temps des délibérations", lance Jeanne Chéenne. À 18 h 45, en audience publique, elle délivre la peine prononcée. Pour certains, la tristesse se lit sur les visages, pour d'autres, c'est le cri de la victoire. La cour se retire dix minutes. Les juges statuent sur les dommages et intérêts réclamés par la partie civile. 19 h 19, le verdict est prononcé. L'audience est terminée.
Cour expérimentale : quel bilan ?
La cour criminelle se généralise partout en France depuis le 1er janvier 2023. Retour sur plus de trois ans d'expérimentation à Caen.
Septembre 2019, la cour criminelle du Calvados, à Caen, expérimente une nouvelle juridiction. Très semblable à la cour d'assises, d'autant plus que les procès se tiennent dans la même salle du palais de justice, la cour criminelle juge uniquement les crimes punis de 20 ans de prison maximum. Depuis le 1er janvier 2023, chaque département français s'est doté d'une cour criminelle. Elle est composée de cinq magistrats professionnels et ne compte plus de jurés populaires, tirés au sort sur les listes électorales. Après trois ans d'expérimentation à Caen, Jeanne Chéenne, aux manettes de cette cour criminelle, estime que la justice fonctionne bien. "On a rendu des décisions avec la même solennité, commente la présidente de la cour d'assises depuis 2017. Les délais sont peut-être plus courts car il y a moins de témoins et on délibère plus rapidement." En effet, un délibéré en cour d'assises peut durer jusqu'à cinq heures. Comptez trois heures maximum à la cour criminelle. Idem sur la durée du jugement. À la cour criminelle, des affaires peuvent être examinées en une journée, contrairement à la cour d'assises. Aussi, "chaque cour d'assises s'ouvre par une journée de formation des jurés. La procédure du tirage au sort prend aussi 45 minutes". À la cour criminelle, il n'en est pas question. De là à penser à une justice expéditive ? "Non. Au contraire, je veille à ce que les parties civiles et les accusés puissent s'exprimer, affirme Jeanne Chéenne. La grande différence, c'est le professionnalisme de cette cour." Aline Gauci-Scotté, juge à la chambre des familles, siège aux côtés de Jeanne Chéenne. Sans jury populaire, elle affirme que "le contenu de l'audience est tout aussi riche".
Quid des effectifs ?
Maitre Véronique Demillière-Badache n'est pas du même avis. "On veut éliminer le citoyen des tribunaux. Ne parler que de droit enlève un peu d'humain dans une enceinte où l'on traite des faits les plus graves", rétorque celle qui compte une centaine de procès à son actif à la cour d'assises. "Je ne suis pas un fan de la cour criminelle, pose d'emblée l'avocat général Bruno Albisetti. Ce qui change la donne, ce n'est pas tant le temps d'audience mais la légitimité populaire." Selon lui, "la justice y perd". Après trois ans d'expérimentation, la cour criminelle de Caen divise. Aux commandes de cette juridiction nouvelle, Jeanne Chéenne émet une seule inquiétude : les moyens humains. "La cour criminelle ne pourrait pas fonctionner sans le recours aux magistrats honoraires (retraités) et aux magistrats à titre temporaire (MTT) qui siègent par vacations." À chaque procès, ils composent presque la moitié des effectifs. Par ailleurs, trois magistrats honoraires supplémentaires ont rejoint la cour d'appel de Caen fin janvier. "C'est une ressource précieuse mais précaire", conclut-elle.
Dans l'Orne et dans la Manche par exemple, où la cour criminelle s'est généralisée depuis le 1er janvier 2023, la période d'ajustement risque d'être compliquée. Le nombre de magistrats professionnels est plus réduit qu'à Caen.
Pour fonctionner, la cour criminelle de la Manche à Coutances fera appel aux 21 magistrats qui siègent au tribunal judiciaire de Coutances (13) et de Cherbourg (8). Quant à l'Orne, la cour criminelle d'Alençon ne compte qu'un effectif de 18 magistrats (11 à Alençon et 7 à Argentan). Un recrutement est en cours.
La cour criminelle du Calvados en chiffres
Depuis sa création en septembre 2019, la cour criminelle du Calvados a jugé 49 dossiers. Découvrez la cour criminelle en quelques chiffres.
49
C'est le nombre de dossiers examinés par la cour criminelle du Calvados, à Caen, depuis le 5 septembre 2019. Il y en a eu 8 en 2019, 9 en 2020, 16 en 2021, 12 en 2022 et 4 en 2023.
47
C'est le nombre d'accusés qui ont été reconnus coupables sur ce total de 49 affaires jugées.
2
Les délibérations entre magistrats professionnels durent en moyenne deux heures.
6
La cour criminelle du Calvados compte six avocats généraux, dont le procureur général Jean-Frédéric Lamouroux. Ils se relaient sur les différentes affaires. L'avocat général représente la société et soutient l'accusation.
53
C'est le nombre de magistrats qui peuvent siéger à la cour criminelle. Parmi eux, il y a des magistrats professionnels, des magistrats à titre temporaire (MTT) qui siègent par vacations et des magistrats honoraires (retraités). Ils exercent dans les tribunaux judiciaires de Caen et Lisieux.
À ces 53 s'ajoutent aussi les conseillers de la cour d'appel de Caen.
Les coulisses de la cour criminelle en images
Dans la même salle d'audience que la cour d'assises, la cour criminelle examine des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion. Découvrez en photos les coulisses de cette cour.
Du début à la fin d'un procès, découvrez en quelques photos les coulisses de la cour criminelle.
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