![[Reportage] Caen. Disquaires indépendants : retour en force](https://medias.tendanceouest.com/photos/1200/406592/)
Au milieu des 2 500 références de vinyles et de CD chez L'œil du sillon, Émilie Salou semble plus heureuse que jamais. La jeune femme de 24 ans vient de trouver le vinyle qu'elle cherchait depuis six ans. "J'ai du mal avec les achats sur Internet. Je suis allée sur les marchés où il y a plusieurs vendeurs locaux et, à ma grande surprise, je l'ai trouvé au pied de chez moi", raconte cette habitante du quartier de Vaucelles à Caen. Fan de la musique pop des années 80, la cliente a craqué sur un vinyle de Douchka, ex-ambassadrice de Disney. Elle s'est même laissé tenter par un deuxième 33 tours.
Émilie Salou, 24 ans, cherchait un vinyle depuis six ans. C'est chez un nouveau disquaire indépendant qu'elle l'a trouvé.
Dans sa nouvelle et première boutique, ouverte depuis le 1er février, Emmanuel Maillard vend des vinyles et CD neufs et d'occasion. "J'ai même vendu des cassettes vierges hier !", sourit le passionné. Après avoir monté une boutique en ligne lors du confinement, il a ouvert son commerce indépendant avec l'idée de conquérir une nouvelle clientèle. Pour attirer le jeune public plutôt habitué aux plateformes de streaming, le commerçant, qui évoque "avoir grandi avec les vinyles", utilise les réseaux sociaux et notamment Instagram. "Je poste en photo les arrivages et dernières nouveautés." La jeune génération est attirée par le rap, le hip-hop, mais aussi la techno en 45 tours pour organiser des soirées. "J'ai une vingtaine de références de rap, mais je reconnais que la concurrence avec les grands magasins est rude. Je mise sur les commandes et la proximité." De l'incontournable Orelsan à Diam's, le disquaire souhaite répondre à tous les publics.
Sites de vente en ligne
et réseaux sociaux
À titre de comparaison, François Thierry, spécialiste du secteur musique au magasin Cultura à Mondevillage, affirme que "les 18-30 ans sont les premiers acheteurs de vinyles".
Cela fait près de trente ans qu'Alain Lalleman tient sa boutique Sonic Records, rue de Bras dans le centre-ville de Caen.
Dans l'hypercentre de Caen, l'historique Sonic Records réalise 25 % de son chiffre d'affaires par l'intermédiaire de sites marchands. Cela fait onze ans qu'il s'est lancé sur Internet. "Je suis encore debout grâce aux commandes de mes clients en France et à l'étranger, admet Alain Lalleman, disquaire depuis 1994 rue de Bras. J'ai accès à plus de trois millions de références." Sa boutique physique est presque devenue annexe. Pourtant, le jeune public s'y déplace encore, à l'image d'Adrien Lebas. Il ressort avec un CD à 10,50 € qu'il écoutera dans sa voiture et sur sa chaîne Hi-fi à la maison. "Je viens ici pour la découverte, avec l'idée d'être surpris, explique le jeune homme. L'abonnement sur les plateformes d'écoute a un côté très éphémère." Chez le disquaire indépendant, Émilie Salou trouve aussi un avantage pour son porte-monnaie d'étudiante. "Le vinyle s'est démocratisé au niveau du prix, c'est accessible." Elle aura acheté deux vinyles d'occasion pour une somme de 30€. Au volant de son véhicule Disc'N Truck, Olivier Guillo va conquérir une nouvelle clientèle en sillonnant le Calvados par le biais d'un commerce ambulant. "J'apporte une offre là où il n'y en a pas, explique ce passionné. Par rapport à un magasin, j'ai l'avantage d'avoir du passage et une clientèle variée."
Le monde du vinyle en chiffres
À Caen, il existe trois disquaires indépendants en centre-ville et un disquaire ambulant. Leur activité surfe sur la vague du vinyle. Quelques chiffres locaux.
2 400
Alain Lalleman, gérant de la boutique Sonic Records à Caen, a déjà vendu un vinyle pour la modique somme de… 2 400 € ! "C'était un vinyle 25 cm de jazz, mais son nom m'échappe, sourit-il. J'ai appris après coup que c'était un magasin parisien qui me l'avait acheté." C'est le vinyle le plus cher qu'il a vendu.
25
Rue de Vaucelles à Caen, dans la nouvelle boutique L'œil du sillon, le montant moyen dépensé par un client est de 25 €. Les tarifs des vinyles varient de 2 € à 150 € la pièce.
20 000
C'est ce que coûte, en euros, la fabrication du dernier album du groupe caennais The Eternal Youth, composé de Tonio (batterie), Fra (chant et guitare), Alan (basse) et Doc (guitare), pour 2 000 exemplaires CD et vinyles.
215
C'est le nombre de vinyles d'Orelsan vendus depuis février 2022 au magasin Cultura de Mondevillage. En CD, l'album "Civilisation" du rappeur caennais a aussi connu un franc succès, avec 254 pièces vendues. Trois trophées aux Victoires de la musique, ça se mérite !
50
La boutique Espace Disc, située rue Arcisse-de-Caumont à Caen depuis 1991, vend en moyenne entre 30 et 50 vinyles par semaine, avec un pic d'activité le week-end.
Le vinyle comme objet rétro magique
Les disquaires indépendants jouent sur l'effet collection des vinyles et CD pour continuer d'exister. Reportage.
Il y a une époque où l'on comptait une petite dizaine de disquaires indépendants à Caen. On parle ici des années 1980-90, période où le CD et le vinyle avaient une place à part. Aujourd'hui, ils ne sont plus que quatre, dont un qui s'est installé au début du mois de février et un autre ambulant. Les deux autres, Sonic Records et Espace Disc, travaillent depuis trente ans au service du disque et sont devenus des incontournables en centre-ville.
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"Le vinyle n'a jamais disparu"
Voilà dix ans que les galettes ont fait leur retour en force. Certains disquaires parlent de mode, d'autres non. "Les vinyles sont revenus tendance car on aime les objets vintage", analyse Gilles Ferrand, de la boutique Espace Disc. Olivier Guillo, au volant de Disc'N Truck, n'a jamais perdu espoir. "J'ai toujours cru au vinyle. Il a décliné mais n'a jamais disparu." L'effet collection plaît à la clientèle, quel que soit l'âge de l'acheteur. Tous les professionnels du milieu en sont convaincus. "Il y a un côté magique à utiliser un vinyle", poursuit-il avant d'être rejoint par Emmanuel Maillard, gérant de la boutique L'œil du sillon. À côté des plateformes d'écoute en streaming, "il y a un retour vers l'album. Se poser pour écouter l'œuvre d'un artiste, c'est un moment privilégié". C'est d'ailleurs pour ces raisons qu'Emilie Salou a commencé sa modeste collection de vinyles. "J'aime bien posséder les choses. Il y a le geste, on sort le vinyle de sa pochette et on le met sur la platine. Il y a quelque chose de différent."
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Un regain d'intérêt
pour les CD ?
Pour continuer à exister et se démarquer d'Internet et des grands magasins, les disquaires indépendants tentent de se diversifier. Du classique au métal en passant par le reggae, le jazz et le rap, les passionnés s'attachent à trouver les perles rares qui prendront place dans les salons des particuliers. "Je vends autant de CD que de vinyles de Queen par exemple. Certains grands groupes continuent de faire rêver, explique Gilles Ferrand, du magasin Espace Disc. Quand on aime un artiste, on a envie de l'avoir en support physique." Faut-il comprendre qu'il existe un regain d'intérêt pour le CD ? "Le CD n'est pas mort ! Il va revenir. Ça coûte aussi trois fois moins cher que le vinyle", précise Allain Lalleman. Dans sa boutique Sonic Records, le panier moyen d'un client est compris entre 20 et 25 € pour les CD. En vinyle, il dépasse les 30 €.
Est-ce donc une question de budget ? Un côté pratique ? "Je vois à nouveau des jeunes acheter des CD. C'est un multisupport qui convient peut-être à une clientèle qui n'a pas les moyens d'investir dans du matériel vinyle", complète Gilles Ferrand, qui range dans sa boutique pas moins de 7 000 CD différents. "On m'en demande tous les jours, je ne suis pas surpris par cette demande", complète Emmanuel Maillard, rue de Vaucelles. Preuve de ce retour au premier plan du CD, il prévoit même d'installer un deuxième bac à CD pour étoffer son offre.
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Ces artistes locaux qui croient au vinyle
Dans les rayons des disquaires indépendants, on tombe parfois sur des pochettes de vinyle d'artistes locaux. En exemple, les groupes caennais The Eternal Youth et Beach Youch, qui croient encore au vinyle.
Dans les bacs de L'œil du sillon ou du disquaire ambulant Disc'N truck, vous trouverez un emplacement dédié aux créations des artistes normands. La pochette du dernier album du groupe caennais The Eternal Youth tape à l'œil.
Life is an illusion, love is a dream, sorti en novembre 2022, a été édité en vinyle et en CD sous 2 000 exemplaires. "La fabrication d'un vinyle coûte trois fois plus cher qu'un CD, mais c'est incontournable. Lors d'un concert au Big Band Café, on avait vendu 120 vinyles", raconte François Patin, connu sous le nom de "Fra" sur scène. En 2018 et 2020, le groupe avait déjà pressé ses albums en vinyle "grâce à une plateforme de crowfunding" à Tourouvre, dans l'Orne. Il n'existe pas d'usine de pressage à Caen. En 2023, il envisage d'éditer 300 nouveaux vinyles tant la demande explose. Ce "bel objet" fait aussi l'affaire du groupe local Beach Youth.
Support de promotion
Biberonné dans cet univers, le groupe de pop caennais admet que "le vinyle n'est pas l'option la plus rentable" mais, en parallèle, le 33 tours a un rôle "dans la promotion d'un groupe local", assure Etienne Froidure, chanteur du groupe. Leur dernier album, Postcard, a été édité en 500 exemplaires. "On a toujours sorti nos titres ou albums en vinyle. Ça nous paraît logique. Avec notre style de musique, on a une clientèle qui est susceptible d'acheter des vinyles."
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