"C'est la vie personnelle qui en prend un coup, admet non sans regret Clotilde Eudier. Ma semaine est organisée autour de mes mandats et de mon métier. Cela exige très grande rigueur." La Seinomarine de 49 ans est mariée et mère de trois grands enfants : une fille et deux garçons âgés de 19 à 26 ans. Sa famille doit la partager avec l'ensemble de ses administrés. La maire de Saint-Romain-de-Colbosc depuis 2020 est vice-présidente du Havre Seine Métropole en charge des espaces publics et, depuis 2016, vice-présidente en charge de l'agriculture et de la pêche à la Région Normandie.
"Des mandats différents mais complémentaires"
Son mandat préféré ? "Ils sont tous différents, mais complémentaires. À la mairie, c'est la proximité. Peu importe le sujet, les habitants sollicitent le maire. C'est très chronophage et prenant, et cela donne pas mal de soucis. La communauté urbaine apparaît plus lointaine aux habitants, même si on y fait beaucoup de choses. La Région, c'est différent. On est sur le développement économique, avec des relations avec l'État." Clotilde Eudier admet avoir eu quelques difficultés au début. "Les deux premières années, excusez-moi l'expression, j'en ai un petit peu 'chié'. On avait un nouveau Président, la réunification, les compétences de la collectivité, j'ai beaucoup appris."
S'adapter au changement climatique, un enjeu d'avenir
Sur le plan professionnel, Clotilde Eudier travaille d'abord dans l'agroalimentaire et la grande distribution. Elle devient salariée agricole sur l'exploitation de son mari pour pouvoir davantage se consacrer à l'éducation des enfants. En 2008, elle reprend l'exploitation de ses parents, divisée en deux pour la partager avec sa sœur et son beau-frère. Aujourd'hui, elle est à la tête avec son époux de 196 hectares en polyculture (céréales, pommes de terre, betterave sucrière et vaches allaitantes). "J'ai la chance d'avoir un mari très compréhensif. Et un fils qui bosse avec nous sur l'exploitation depuis quatre ans. Cela m'a soulagée, j'ai pu un peu me détacher. Je garde surtout tout ce qui est administratif. Même si de temps en temps, j'aime bien prendre le tracteur pour pas perdre la main. Et dans mes fonctions politiques, je peux ainsi parler de ce que je connais." Et l'agricultrice de valoriser sa profession en constante mutation. Quand on lui rappelle l'élan vers les petits producteurs lors du confinement de 2020, elle explique : "Aller faire les courses était un moyen de sortir et, sans les dépenses de loisirs, il y avait un plus fort pouvoir d'achat. Puis, la vie normale a vite repris le dessus. On a gardé environ un tiers de ces nouveaux acheteurs en vente directe ou sur les marchés locaux. Nous avons un distributeur automatique de pommes de terre, il marche très bien !" Enjeu d'avenir pour la profession : l'adaptation au changement climatique. "On aura de plus en plus de chaleurs brutales, de sécheresses et de pluies violentes qui impactent notre activité, mais les agriculteurs ont une énorme adaptabilité", assure Clotilde Eudier.
"Il faut s'ouvrir", insiste la professionnelle qui vante les dispositifs de formation, et notamment les groupes de femmes de la Chambre d'agriculture. Et sur la question de la place des femmes dans la filière, Clotilde Eudier insiste sur la nécessité pour elles de prendre des parts dans les exploitations. "On est parties de loin. Il y a eu le statut de conjointe collaboratrice. Mais aujourd'hui, la femme travaille, acquiert du capital. Elle est l'égale de l'homme et a le droit à sa part du gâteau."
Quelle agriculture pour le futur ?
L'innovation
Le numérique
ne fait pas tout
"Nous avons plein d'applications sur notre téléphone, pour le 'farming', le robot, le distributeur de produits frais. Cela nous rend surtout accro, estime Clotilde Eudier. Pour moi, les plus grandes innovations, c'est dans la recherche sur les variétés résistantes aux maladies et au changement climatique. La tendance est à la réduction au maximum de l'utilisation des produits phytosanitaires. Malheureusement, le temps de la recherche est beaucoup plus long que le temps réglementaire." Référence au récent blocage par l'UE des dérogations sur les néonicotinoïdes pour la culture de la betterave.
La conversion au 100 % bio
Mythe
ou réalité ?
"On pourra si les prix sont là. Aujourd'hui, sans les aides, la culture bio n'est pas viable. Les gens n'ont pas le pouvoir d'achat suffisant. Cette année, au niveau national, on a eu énormément de déconversions car les gars ne font pas face à leurs charges. Et avec la concurrence étrangère, nos produits ne sont pas compétitifs. Acheter un ananas bio d'Argentine, d'un point de vue carbone, n'est pas très malin. Mieux veut manger une pomme conventionnelle de l'agriculteur du coin."
L'éducation au goût
Une clé pour l'avenir
de l'agriculture ?
"L'éducation, ce n'est pas l'avenir de l'agriculture, c'était les bases ! On a enlevé le goûter à l'école, regrette Clotilde Eudier, alors que ça permettait de faire découvrir des choses aux enfants. Nous, on y revient avec l'opération "Je mange normand dans mon lycée" avec la Région. Le but est d'avoir le maximum de produits normands à la cantine." Et le dispositif a aussi des effets bénéfiques en termes de lutte contre le gaspillage alimentaire : "Quand vous achetez chez votre producteur local ou sur le marché du coin, vous gâchez moins. Et cela ne coûte pas forcément plus cher."
L'agriculture, une vocation
Le problème du renouvellement des générations
"D'ici dix ans, un tiers des professionnels partiront à la retraite. Après la Covid, des personnes reviennent à la terre sur des petits projets. Mais nous, agriculteurs, devons aller promouvoir nos métiers dans les collèges et lycées. Et redorer notre image. On n'est pas des bouseux avec des bottes H24 ! On est à la pointe de la technologie. On est à la fois gestionnaire, financier et on fait des produits de qualité. C'est le plus beau métier du monde !"
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